L’objectif de carboneutralité de la F1 suscite des doutes et des reproches

MONTRÉAL — La F1 affirme avoir réduit son empreinte carbone de 13 % en 2022 et qu’elle est sur la voie pour atteindre son ambitieux objectif de zéro émission nette en 2030. Mais d’importantes émissions indirectes ne sont pas incluses dans son bilan et les moyens utilisés pour atteindre ses cibles suscitent des critiques.

Des représentants de l’entreprise Formula One Group ont présenté mardi le «rapport d’impact 2023» qui souligne les améliorations de l’organisation au niveau de son bilan environnemental.

Avec ce rapport, «nous pouvons vraiment montrer à quoi ressemblent la durabilité et l’action», a indiqué Ellen Jones, responsable de l’environnement, du social et de la gouvernance à la Formule 1, lors d’une conférence virtuelle.

En 2018, la F1 affirmait émettre 256 551 tonnes d’équivalent CO2 (éq. CO2). À titre d’exemple, un Québécois émet 8,4 tonnes par année.

En 2022, le bilan carbone présente une baisse de 13 % avec 223 000 tonnes éq. CO2.

Ce qui signifie qu’il reste «37 % de réductions à réaliser d’ici 2030 pour atteindre notre objectif nette zéro», peut-on lire dans le rapport.

Si la F1 réussit à diminuer de 37 % ses émissions de CO2 d’ici 2030, elle aura réduit de moitié son empreinte carbone depuis 2018.

Mais ce scénario signifie que ses activités annuelles émettraient toujours environ 128 000 tonnes éq. CO2. Alors pourquoi ses dirigeants évoquent-ils la carboneutralité (nette zéro)?

En conférence de presse, Ellen Jones a expliqué que «notre engagement zéro émission nette a toujours été une réduction minimale de 50 %» et non un objectif de «zéro émission absolue», car «avoir zéro émission signifie que vous n’existeriez pas».

La F1 compte «surveiller le marché des projets de crédits carbone» pour compenser les 128 000 tonnes d’émissions restantes, sans toutefois donner de détails sur la façon dont elle compte s’y prendre.

Selon le spécialiste en énergie Pierre-Olivier Pineau, pour que le plan de carboneutralité de la F1 soit crédible et cadre avec les objectifs de l’Accord de Paris, il faudrait «qu’elle réduise de beaucoup plus».

Selon le titulaire de la Chaire de gestion du secteur énergétique à HEC Montréal, «une organisation peut faire cela (acheter des crédits pour 128 000 tonnes de CO2), mais globalement ce n’est pas possible, parce qu’il n’y a pas assez de potentiel de compensation sur la Terre pour que toutes les organisations le fassent. Ou alors, il faudrait aller dans le captage direct du CO2 dans l’air… à des coûts entre 500 et 1000 $ la tonne. Mais à ce prix-là, vaut mieux trouver des moyens de réduire les émissions».

Le professeur Pineau ajoute qu’avoir l’objectif de «réduire de 50 % ses émissions, ce n’est pas rien» et «qu’il y a un aspect tout à fait louable à ça», mais de réduire de 13 % ses émissions de CO2, comme ce serait le cas actuellement, «ce n’est pas très difficile», car «on est dans un système qui est tellement inefficace alors, en gérant un peu activement la consommation d’énergie, on peut trouver des occasions de réduction significative».

De réelles mesures ou un écran de fumée?

Le Groupe Formula One dit avoir apporté plusieurs changements importants dans les dernières années afin de diminuer son empreinte carbone.

Le nombre d’employés qui se déplacent en avion lors des courses du Grand Prix aurait été réduit, 150 personnes travailleraient désormais à distance. L’entreprise affirme également transporter moins de matériel, et du matériel plus léger, dans les avions pour aller d’une course à l‘autre.

Le rapport explique également que la F1 utilise du «biocarburant pour les camions» qui transportent le matériel et que la F1 a réduit l’empreinte carbone de ses voitures de course.

Elle prévoit d’ailleurs que les voitures des pilotes seront alimentées par du «carburant 100 % renouvelable» d’ici deux ans. L’entreprise investit aussi dans le «carburant durable» pour l’aviation.

Mais pour Patrick Bonin, de Greenpeace Canada, ces mesures ne sont qu’un «écran de fumée».

Le responsable de la campagne Climat-Énergie du groupe écologiste affirme que «la vaste majorité du plan repose sur la compensation et non la réduction».

La Formule 1 «a recours à des solutions qui ne sont aucunement durables et qui sont des fausses solutions, par exemple elle utilise du biocarburant, donc elle utilise l’agriculture pour nourrir des véhicules alors que ça doit être utilisé prioritairement pour les humains».

Il ajoute que les «technologies de carburants durables pour l’aviation sont extrêmement énergivores et que leur potentiel est très limité», et que ce type de solutions «devraient être utilisées pour des usages essentiels et non pour verdir une industrie de millionnaires».

Patrick Bonin dénonce également «que la compensation d’émissions est une fausse solution» lorsqu’elle est utilisée pour compenser de nouvelles émissions de CO2.

«La compensation devrait être utilisée pour compenser les émissions du passé» et «non pour permettre à une industrie de continuer à polluer».

La moitié des émissions proviennent de la logistique

Dans le «rapport d’impact 2023» présenté mardi par des dirigeants de la F1, il est indiqué que seulement 1 % du CO2 émis par l’organisation provient des voitures de course. Le dixième de l’empreinte carbone émane des infrastructures de l’entreprise, 12 % sont le résultat des «opérations des événements» et 29 % proviennent des voyages des employés.

La logistique, le transport du matériel par camion et par avion, est l’aspect le plus énergivore de la F1 avec 49 % des émissions en 2022.

Le rapport note que les émissions attribuables à la logistique ont augmenté dans le dernier bilan annuel, en raison notamment de l’ajout de courses au circuit de la F1.

La F1 n’a pas comptabilisé certaines émissions «scope 3»

Dans son rapport, la F1 n’a pas comptabilisé les émissions provenant des déplacements des spectateurs lors des événements, de la gestion des matières résiduelles et de l’alimentation.

Dans un bilan carbone, ces émissions indirectes sont généralement comptabilisées dans la catégorie niveau 3 ( ou scope 3).

«Si on voulait être rigoureux et si on voulait vraiment prétendre avoir fait une divulgation complète des émissions, il faudrait inclure ces émissions de scope trois. Mais ils ne le font pas», commente Pierre-Olivier Pineau.

Luc Baillargeon Nadeau, chargé de projet et responsable du développement durable chez LCL, une firme d’experts-conseils en solutions environnementales, a réalisé une estimation de l’empreinte écologique du Grand Prix de Montréal.

Il évalue à plus de 1500 tonnes de CO2 les émissions liées aux déplacements locaux des spectateurs. À titre comparatif, il estime qu’entre 15 et 20 tonnes de CO2 seront émises par les voitures de course durant le week-end.

En ce qui concerne le transport par avion des spectateurs, il explique qu’il est difficile de faire une estimation sans avoir d’étude détaillée de la provenance des participants.

«Mais si une proportion significative de visiteurs vient de l’extérieur, les émissions de GES peuvent monter rapidement. On pourrait rapidement parler de 5000 à 10 000 TCO2 pour un événement de l’ampleur de la F1 à Montréal», indique-t-il.