Le médecin paresseux
Lettre ouverte de la Dre Patricia Marchand
Médecin de famille depuis 2009 œuvrant en bureau et aux soins palliatifs à domicile
Le médecin paresseux ou « medicus omnipraticus » est une race de médecin de famille trop présente aux yeux de plusieurs personnes dont le ministre de la santé. Permettez-moi de mieux approfondir vos connaissances sur le sujet.
Le médecin paresseux a suivi en général une formation universitaire de 6 à 8 ans dont 4 ans dans les milieux hospitaliers. Les nombreuses gardes et les innombrables heures de formation ne lui font pas peur et il obtient son permis de pratique après la réussite d’une longue série d’évaluations et d’examens tant théoriques que pratiques.
Le paresseux doit par la suite trouver l’endroit idéal pour bâtir son nid ; processus parsemé d’obligations dans lequel il doit se conformer à diverses instances. Nul ne peut s’établir où il le veut sans devoir rendre des comptes. Il en va de même pour le choix de ses activités. Au final, il doit accomplir un drôle de rite lui imposant de pratiquer au moins 12 heures par semaine en établissement parmi des priorités déterminées dont l’urgence, l’hospitalisation, l’obstétrique, l’hébergement, les soins à domiciles, la santé mentale et j’en passe. Le paresseux pratique des activités diverses et stimulantes mais souvent dans des conditions précaires. Pourtant le paresseux adore ce qu’il fait. Il mange souvent peu, saute des repas ou grignote en remplissant des dossiers ou formulaires interminables. Il reçoit des appels à toute heure du jour ou de la nuit quand il ne s’amuse pas tout simplement sur différent quart de travail (jour, soir et nuit). Certains paresseux poussent même l’audace jusqu’à fonder une famille!
Vous comprendrez que ce qui précède est un clin d’œil humoristique à la situation complexe dans laquelle les médecins de famille sont actuellement plongés. Mais ce qui est bien réel c’est ce qui se passe en dehors du temps que vous passez avec le médecin de famille qui vous soigne, que ce soit à l’urgence, à l’hospitalisation, au bureau ou à la naissance de votre enfant. Nous devons remplir un nombre incessant de documents de toutes sortes, rejoindre les spécialistes, les centres de rendez-vous pour demander les examens jugés urgents, gérer les retours d’appel et tous les résultats des examens et consultations demandés. Sans compter que le manque de ressources dans les autres professions du domaine de la santé oblige les médecins à tenter de combler ces lacunes en vous fournissant des conseils sur vos habitudes de vie et du soutien psychologique. Nous dépassons très souvent le cadre de la simple consultation médicale. Sans oublier que les connaissances augmentent sans cesse, les nouveaux médicaments aussi et qu’il faut prendre le temps de garder notre savoir à niveau. Il faut communiquer ce savoir-faire et ce savoir-être aux futurs médecins ; prendre le temps de leur faire des rétroactions. Les médecins de famille ne sont pas des « paresseux ». Nous ne souhaitons qu’une seule et unique chose, un meilleur accès à un médecin de famille et des soins en lieu et en temps opportun. Nous sommes tous perdants de la piètre qualité du système de santé actuel. Le projet de loi 20 bien qu’alléchant puisqu’il promet un médecin à tous les Québécois ne remplira pas sa promesse. Les quotas sont irréalistes et ce sont vous les patients qui n’auront plus la qualité à laquelle vous êtes en droit de vous attendre. Un nivellement par le bas c’est tout ce qui attend le Québec. Des solutions tangibles sont sur la table depuis des années, mais les gouvernements changeants n’ont pas pris le temps de s’y investir parce que ce n’est pas électoralement populaire.
Les paresseux sont des professionnels fondamentalement bons qui ne souhaitent que la santé et le bonheur de leur prochain. Ceux qui « accepteront » la baisse de 30% du revenu en fonction d’un quota arbitraire le feront au nom de profondes convictions. Les médecins de famille méritent votre soutien!