À P.J. la femme de ma vie et d’après
Ils sont nés à Trois-Rivières tous les deux. On reconnaissait l’homme à son air boudeur, de chien battu presque. Elle, à son visage rayonnant. Gérald Godin et Pauline Julien formaient un beau couple, disait-on.
Un beau jour de 1962, la chanteuse donne un spectacle à l’hôtel St-Maurice, à Trois-Rivières. Un jeune journaliste du Nouvelliste, Gérald de son prénom, se présente dans sa loge pour une entrevue. Jusque-là, rien d’original.
Gérald déménage à Montréal où réside Pauline. La rencontre magique, celle qui tracera le destin, se fait chez elle. Elle a dix ans de plus que lui.
Gérald revient à Trois-Rivières pour repartir à Montréal l’année suivante. Il ne quittera jamais plus la métropole. Il pratique divers métiers, recherchiste à Radio-Canada notamment.
Deux artistes
Gérald n’est pas seulement journaliste, il est poète aussi. Pauline Julien, célèbre chanteuse à l’époque, avait donc le privilège d’avoir un écrivain comme amant. Elle chantera huit des poèmes de son chum au cours de sa carrière.
Attention! Nous sommes dans les années 60. Des courants d’une puissance mondiale échevèlent l’Amérique. Révolte des pays colonisés contre les pays colonisateurs, rébellion contre la guerre du Vietnam, invasion des hippies, création de la pilule anticonceptionnelle, libéralisation de la sexualité. Montréal n’y échappe pas.
Traversés par ces courants, Gérald et Pauline luttent côte à côte pour l’indépendance du Québec, prônent le «peace and love» à leur façon et vivent des aventures sexuelles chacun de leur côté.
N’empêche que Pauline écrit à Gérald en 1988 : «Tu es l’homme de ma vie». Deux mois plus tard, Gérald déclare dans une entrevue télévisée : « En vieillissant je vais peut-être m’ouvrir les yeux et me rendre compte que la jeune fille que je cherchais, c’est elle. »
Quatre ans plus tard, en 1992, Gérald écrit dans une dédicace: « À P.J. la femme de ma vie et d’après.»
Deux ans après, Gérald meurt d’un cancer du cerveau. Pauline, victime d’aphasie dégénérative, se suicide six ans plus tard, en 1998. Elle avait 70 ans.
Prison
La vie de Gérald Godin et de Pauline Julien était tout, sauf banale.
Gérald était un combattant. Durant les années 60, il a défendu l’utilisation du joual dans ses poèmes, tout comme Michel Tremblay dans ses pièces de théâtre et Robert Charlebois dans ses chansons.
Éditeur, il publie Nègres blancs d’Amérique de l’activiste Pierre Vallières, un essai considéré comme subversif à l’époque. Gérald devient aussitôt suspect aux yeux des gouvernements et des corps policiers. À l’époque, la province est secouée par les attentats felquistes.
Lorsqu’éclate la crise d’Octobre 70, Gérald se retrouve derrière les barreaux. Il est victime de la Loi des mesures de guerre de Trudeau qui permettait les arrestations arbitraires. Pauline aussi.
Il bat le premier ministre
Arrivent les élections de 1976. Gérald se fait candidat dans l’équipe de René Lévesque. Il s’impose comme défi de battre le premier ministre du Québec Robert Bourassa dans son propre comté, soit Mercier, aujourd’hui détenu par Amir Khadir.
Le 15 novembre 1976 devient une date historique, les Québécois portant au pouvoir le premier gouvernement indépendantiste de leur histoire. La victoire est doublement éclatante pour Gérald car il a réussi l’impensable: battre Robert Bourassa.
Un premier ministre battu par un poète! L’histoire avait quelque chose de romantique.
Aux yeux de nombreux nationalistes purs et durs du Québec, la victoire de Gérald est une douce revanche contre les libéraux de Trudeau et de Bourassa. Pour les felquistes, c’est une revanche contre la Loi des mesures de guerre.
Gérald sera réélu quatre fois, dans un comté bourré de minorités culturelles, jusqu’à sa mort en 1994. Il était sans doute le péquiste ayant les liens les plus étroits avec les immigrants, pourtant honnis par plusieurs purs et durs du Parti québécois.
Gérald Godin était plus qu’un poète du terroir. Malgré ses convictions indépendantistes, il prônait le rapprochement des peuples à sa façon.
Cancer
Vers la fin de sa vie, Gérald livrera un dernier combat, celui contre le cancer. Parallèlement à son travail de député et de ministre qui a duré 18 ans, il subira deux opérations au cerveau. Le cancer l’emportera.
Pauline secondera son amant dans la plupart de ses combats.
De son côté, elle livre des interprétations inoubliables du répertoire de Gilles Vigneault, dont La danse à St-Dilon. Elle chante de nombreux auteurs québécois et travaille en collaboration avec les François Dompierre, Stéphane Venne, Michel Robidoux.
L’Office national du film a produit un documentaire sur la vie passionnante des Trifluviens Gérald Godin et Pauline Julien intitulé : Québec…un peu…beaucoup…passionnément.
(Sources : Notes de l’exposition consacrée à Gérald Godin à la Bibliothèque et archives nationales à Montréal, issue du témoignage d’André Gervais. Wikipedia à l’article Gérald Godin et à l’article Pauline Julien.)
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