Suicide: plaidoyer pour impliquer les proches et alléger le secret professionel
MONTRÉAL — Un père endeuillé par le suicide souhaite une implication des proches au cœur des soins d’une personne aux prises avec des troubles mentaux ou de dépendance, et un allégement des règles de confidentialité des professionnels de la santé pour prévenir des événements malheureux comme celui de son fils.
Ce sont quelques-unes des recommandations de Jean-François Ryan, présentées vendredi matin lors de la suite de l’enquête publique du Bureau du coroner sur la thématique du suicide au Québec.
Son fils Mikhaël Ryan s’est enlevé la vie dans un hôtel de Québec, après avoir tué sa mère Joceline Lamothe, en mai 2017.
Selon M. Ryan, les informations connues étaient «complètes» pour venir en aide à Mikhaël, mais elles étaient «éparpillées».
«Aucun des intervenants ne disposait de cette somme d’éléments», a-t-il mentionné, estimant que si elle avait circulé, le drame aurait possiblement pu être évité.
Dans ses constats, il recommande d’opter pour le «triangle des soins» où les proches, qui peuvent donner un sens à certains détails passant sous le radar, sont intégrés au centre des thérapies.
«Il a été démontré par les faits présentés que ça améliorerait énormément l’information à la disposition des professionnels», a dit M. Ryan à la coroner Me Julie-Kim Godin, par vidéoconférence.
Pour établir ce triangle, les règles de confidentialité doivent être allégées, «minimalement entre les professionnels», a-t-il poursuivi.
Cette recommandation de M. Ryan rejoint celles évoquées la veille par des corps policiers qui réclament un assouplissement du secret professionnel et de la loi d’accès à l’information pour faciliter le partage de renseignements et mieux intervenir auprès de personnes en détresse.
Le Dr Benoît Croteau, psychiatre et fondateur de la Clinique des troubles anxieux et de l’humeur, a mentionné vendredi que ce lien avec les proches s’applique plus facilement dans une clinique en communauté que dans le milieu hospitalier. Ce dernier peut connaître entre autres beaucoup de changements de personnel et de pression, a-t-il affirmé.
M. Ryan a aussi suggéré d’élaborer des normes nationales pour évaluer le risque suicidaire, de réduire les délais de traitement entre les séjours et de réviser le pouvoir des organismes de thérapie, notamment pour qu’ils puissent aviser les proches d’un résidant suicidaire lorsqu’il quitte un établissement.
Mikhaël Ryan et Joceline Lamothe sont parmi les six décès couverts par l’enquête de la coroner, amorcée en 2019. Les autres sont Suzie Aubé, Jean-François Lussier, Marc Boudreau et Dave Murray.
Un plan concret et non seulement des dépliants
La sœur de Jean-François Lussier a réclamé un meilleur accompagnement du milieu hospitalier. Une personne qui décide de consulter à l’hôpital pour des raisons de santé mentale doit repartir avec un plan de soins concret et un suivi avec un professionnel.
Et non «la laisser repartir chez elle avec des dépliants», a témoigné vendredi Annie Lussier, faisant référence à l’histoire de son frère.
Jean-François avait subi une évaluation psychiatrique sous la recommandation d’une médecin et d’un urgentologue en raison d’idées suicidaires. Après un «survol de la situation» avec un psychiatre, son frère a été retourné à la maison avec trois brochures pour des services d’aide, a relaté Mme Lussier.
Il était considéré comme ne représentant aucun danger pour lui ou pour les autres, et comme étant bien entouré par sa famille. Moins de deux semaines plus tard, il a été trouvé inanimé à son domicile de Laval en mai 2018.
Aux yeux d’Annie Lussier, le fait de pouvoir compter sur son entourage ne devrait pas être un prétexte pour renvoyer un patient chez lui. Selon elle, la famille n’est pas outillée pour «répondre convenablement» à un proche se trouvant dans un état dépressif.
Un patient avec des idées suicidaires claires et un plan devrait être mis en observation durant au moins 24 à 48 heures, a également suggéré Mme Lussier.
Plus tôt vendredi, au nom de l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance (AQCID), son directeur adjoint, Alexandre Ratté, a exigé une révision du règlement surla certification des ressources communautaires ou privées offrant de l’hébergement en dépendance.
L’AQCID souhaite notamment que le réseau des ressources d’hébergement en dépendance (RHD) soit composé exclusivement d’organisations à but non lucratif, et que les traitements avec hébergement soient réservés aux organismes communautaires.
«La recherche de rentabilité des entreprises privées n’est pas compatible avec les activités des RHD», a soutenu M. Ratté.
L’enquête publique sur la thématique du suicide est entrée dans son dernier droit avec les volets recommandations et représentations, qui se déroulent au palais de justice de Trois-Rivières depuis mercredi.
Les audiences reprendront lundi pour se poursuivre jusqu’au 10 juin. Une quarantaine de témoins viendront alimenter la réflexion de Me Godin sur des solutions pour prévenir le suicide.
Ressources:
Tel-Jeunes: https://www.teljeunes.com/Accueil
Suicide Action Montréal: 1 866 277-3553
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Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelle