Un nouveau cordonnier s’installe à Cap-de-la-Madeleine

Il y a peu de chances que vous croisiez un jeune cordonnier en 2024. On n’en forme plus depuis des décennies au Québec. Charles Beauchesne, 32 ans, a ouvert sa cordonnerie sur la rue Saint-Laurent il y a deux mois. Il n’est pas près de manquer de travail.

Le jeune homme a toutefois été surpris d’accueillir sa première cliente très tôt au premier jour d’opération de sa cordonnerie.

« Le jour 1 à 9 h, une dame était là pour ses sandales à faire ajuster. Je n’ai jamais été entrepreneur. Je suis le gars qui est arrivé avec sa machine à coudre sur le dos, j’ai mis ça dans un local puis je me suis dit que j’allais avoir des clients. Oui j’ai une très bonne clientèle depuis le jour 1. J’ai eu l’encouragement de tous les commerçants autour qui sont venus me dire qu’ils étaient là si j’avais besoin de quoi que ce soit. Les entrepreneurs du Cap se connaissent et se tiennent. »

Il n’avait pourtant pas fait de campagne publicitaire pour annoncer l’arrivée de son nouveau commerce dans le quartier si ce n’est qu’une publication sur les réseaux sociaux qui a tout de même suscité plus de 3000 partages. Le rayon de sa clientèle ne cesse de s’agrandir depuis.

« Champlain, Batiscan, ce sont des secteurs où j’entends beaucoup de gens me dire: « On aime ça pouvoir avoir un cordonnier pas trop loin ». Je suis directement à l’entrée du Cap-de-la Madeleine par la 138. »

Dès son enfance à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, Charles est attiré par des jouets de construction comme les Lego Bionicle, mais il est aussi intrigué par la petite boîte de couture qu’avait sa mère.

« Tout part de cette boîte-là, avec plein de choses que je ne comprenais pas et ça m’intéressait! Je m’amusais à fouiller dedans. Puis elle m’a montré à passer le fil dans l’aiguille, juste une fois, comme ça. Je suis retourné voir la petite boîte, je sortais des aiguilles, je picossais, je cousais, je faisais des petites réparations. J’ai commencé ensuite à faire de la couture parce qu’elle m’a prêté sa machine à coudre. Là, je fabriquais des choses plus intéressantes et pas juste à la main. C’est quelque chose qui a pris du temps à se développer, mais je retournais toujours voir la machine. C’était plus un hobby. Quand j’avais quelque chose de brisé, je le réparais. »

Charles était fasciné par la façon dont fonctionnent les choses.

« J’ai toujours été bricoleur. Mon père a toujours été quelqu’un qui travaillait le bois, la fabrication. J’ai un peu hérité de ça. Puis, ma mère m’a donné le côté plus délicat de la couture. Les deux ensemble, ça fait ça. La cordonnerie, c’est de la grosse couture brute. »

Une amitié qui pave la voie

À l’adolescence, il s’est lié d’amitié avec le fils du cordonnier Gaston Plante qui lui a prêté puis légué sa machinerie et tous ses accessoires. Stéphane Plante partageait le même local de répétition que Charles lorsqu’ils faisaient partie d’un groupe de musique.

« Il y avait autour de nous des machines qui traînait à l’abandon, dont une grosse Singer à pédale. C’est avec cette machine-là qu’il m’a montré comment faire des réparations, comment l’ajuster, à quoi sert un papillon. Je réparais des sangles de basse et plein d’autres choses. Après deux ans qu’il me voyait sur la machine, il m’a proposé de me la donner avec tout ce qu’il avait: talons, rivets, boucles de ceinture. J’ai tout gardé pendant dix ans jusqu’à l’idée de me partir une cordonnerie. »

Entre-temps, il a travaillé quelques années à la cordonnerie Carol Binet où un cordonnier lui a appris les rudiments du métier. Son patron de l’époque, André Gilbert, lui donne encore un coup de main, surtout pour la comptabilité.

On sait que le cordonnier répare des chaussures, des sacs et vêtements en cuir, mais il y aussi d’autres objets auxquels on ne pense pas au premier abord.

« Je peux faire des réparations de toiles, tout ce qui est vinyle. Je m’expertise un peu dans les selles de cheval. Je ne peux pas faire une reconstruction du milieu en fibre de verre ou en bois mais je peux faire du rajout de cuir, je peux réinstaller les côtés où on met les étriers, tout ce qui est cuir. L’autre jour j’ai réussi à remettre en place un pommeau arraché. Ç’a été une pas pire job. »

La cordonnerie est un secteur où l’équipement n’a pas beaucoup changé. Charles possède des machines de 1911, 1938 et 1954 qu’il entretient et répare lui-même grâce aux connaissances qu’il a accumulées s’étant intéressé jeune au métier.

En cette période où nous sommes davantage sensibilisés à éviter la surconsommation, réparer des articles encore en bon état évite le gaspillage et des dépenses superflues.

« L’équipement de hockey, ça c’est une chose que les gens ne pensent pas que ça se répare. Pourtant ça vaut cher et des gants de hockey ça ne coûte rien à faire réparer. Les gens pensent qu’on ne peut plus rien faire et qu’il faut en racheter, mais non. Souvent je n’ai qu’à passer une couture. »

On ne forme plus de cordonniers

Charles explique le manque de relève par la disparition de la formation offerte.

« Ç’a fini en 1991 les cours de cordonniers. Avant, la formation était courante. Ce n’était pas juste une question d’économie mais parce que les gens ont besoin de faire réparer des choses. C’est important d’avoir des cordonniers. Il y en avait partout. »

D’ailleurs, il pourrait contribuer prochainement à transmettre les bases de son métier à de futurs cordonniers.

« Je me suis fait approcher et je compte pouvoir offrir d’ici l’année prochaine de la formation et un service de stage en cordonnerie pour les jeunes, ce qui pourrait être intéressant pour ouvrir des portes. » 

Le nouvel entrepreneur se plaît beaucoup dans sa propre cordonnerie. Il n’a pas nécessairement des idées d’expansion et d’engager des employés dans un avenir proche.

« Ce n’est pas nécessaire. J’aime bien être dans mes choses. J’ai ma fille qui va m’accompagner quand elle sera prête. Des employés, surtout dans une petite boutique comme ça, on va se piler sur les pieds. Et je suis très rapide. J’opère réparation par-dessus réparation. Je veux rester un petit cordonnier, j’aime ça simple mais je veux bien pouvoir former des gens dans l’avenir. »