L’homme qui écoute les bornes-fontaines

Deux fois par année, des employés des travaux publics de la Ville de Trois-Rivières prennent le temps de s’arrêter à chacune des 5192 bornes-fontaines du territoire pour les écouter et tendre l’oreille à ce qu’elles pourraient leur révéler sur l’état du réseau d’aqueduc.

L’image peut faire sourire, mais la méthode s’avère assez efficace pour détecter des fuites souterraines qui passeraient autrement sous le radar.

Il faut dire que la détection rapide et précise des fuites souterraines sur le réseau d’eau potable est un enjeu majeur pour la Ville de Trois-Rivières qui doit réduire la consommation d’eau potable de 16% sur le territoire d’ici l’automne 2025. 

« Tout le monde doit faire des efforts; la Ville aussi. De notre côté, on doit faire poursuivre nos efforts pour réparer encore plus rapidement les fuites sur le réseau et surveiller davantage les bornes. Le gouvernement veut aussi qu’on calcule les pertes en eau en raison des fuites. On répare les fuites dans un délai de trois jours en moyenne », expliquait récemment Julien St-Laurent, chef de service – Environnement à la Direction de l’aménagement et du développement durable.

Si à une époque les employés écoutaient les bornes-fontaines avec un outil semblable à un stéthoscope, l’équipement s’est amélioré depuis. Ceux-ci utilisent maintenant un Stethophon, un petit appareil d’auscultation qui s’aimante sur la borne-fontaine et qui amplifie les vibrations sonores dans le poteau incendie.

(Photo Marie-Eve Alarie)

Si la mesure initiale s’avère élevée ou anormale, l’opérateur à l’hygiène du milieu met alors ses écouteurs, tend l’oreille et porte attention à toute irrégularité dans la vibration.

« C’est la vibration qu’on est capable de percevoir. Les poteaux d’incendie nous donnent généralement l’heure juste dans un rayon d’environ trois ou quatre pâtés de maisons. Ça a l’air anodin, mais au fil du temps, quand on en écoute de plus en plus, on se fait l’oreille et ça fait en sorte qu’on est capable de trouver la connotation du bon son ou de la résonance qu’on entend. »

Mathieu Ricard De Grammont a pu compter sur les précieux conseils de son prédécesseur, Réjean Rouette, riche de 37 années d’ancienneté au réseau d’aqueduc municipal. « Je me suis collé à lui pour en apprendre le plus possible et perfectionner l’écoute, les fuites et tout ce qu’il faut savoir du réseau d’eau potable », ajoute-t-il.

Certains secteurs de la ville demandent une attention plus particulière lors de l’écoute. Au besoin, l’opérateur à l’hygiène du milieu n’hésite pas à repasser à un autre moment de la journée, plus tranquille, pour s’assurer d’avoir la bonne analyse à l’écoute.

« Le Vieux Trois-Rivières est un secteur plus névralgique puisque les conduites sont plus vieillissantes. Elles ont besoin de plus d’entretien. Au fil du temps, on en vient à vraiment bien connaître ces secteurs. Ce sont des points chauds qui sont ciblés d’avance. On sait aussi qu’il y a, en général, une dizaine de fuite par hiver à Trois-Rivières Ouest. Alors on porte une attention particulière à certains secteurs comme ceux-là. »

« Par ailleurs, en faisant la manipulation de presque tous les éléments du réseau, que ce soit les vannes ou les poteaux d’incendie, on en profite pour s’assurer que tout est en bon état. On relève toutes les anomalies et on les traite pour entretenir le réseau », précise Anthony Bourque, contremaître réseau à la Ville de Trois-Rivières.

(Photo Marie-Eve Alarie)

Lorsqu’une fuite souterraine est détectée, l’opérateur à l’hygiène du milieu utilise ensuite un corrélateur, qui permet de concentrer les recherches entre deux bornes-fontaines, puis un appareil d’écoute au sol.

« En détectant de façon précise l’endroit d’où provient la fuite sur le réseau d’aqueduc, ça permet de faire des économies lors des travaux, car on sait exactement où il faut creuser », note M. Bourque.

Rinçage et bornes-fontaines qui coulent

Une autre grande responsabilité de l’équipe affectée au réseau d’eau potable consiste au rinçage des conduites, où sont distribués quotidiennement 56 200 000 litres d’eau, par le biais des bornes-fontaines.

« Le rinçage unidirectionnel est une opération importante. Chaque année, on amène de la nouvelle eau dans le réseau en créant une forte vitesse qui fait également en sorte de bien nettoyer et rincer les conduites. On parvient ainsi à décrocher des particules plus fines qui sont collées à l’intérieur du tuyau », explique le contremaître réseau.

Il reste également encore une dizaine de bornes-fontaines qui coulent un peu en continu sur le territoire trifluvien. Bien que ça ne soit pas une situation idéale, ce filet d’eau en continu a son utilité.

« On a un comité purge qui s’occupe d’encadrer ces bornes-fontaines qui coulent. Elles ne coulent pas pour rien, explique M. Ricard De Grammont.  Ça vient apporter une désinfection de l’eau potable en neutralisant des bactéries qui pourraient être introduites dans la conduite d’aqueduc. »

« Prenons aussi l’exemple d’un problème d’eau colorée. Laisser couler un peu la borne-fontaine a un effet sur la coloration de l’eau, poursuit-il. On se sert des poteaux d’incendie pour nous donner une période tampon, le temps d’apporter le problème à notre comité de purge et évaluer ce qu’on peut faire pour modifier ou accélérer le traitement d’une plainte d’eau rouillée qui est répétitive de semaine en semaine. On laisse couler, mais on a quand même un regard sur le topo de tout ce qui cause le problème. »

Mathieu Ricard De Grammont, opérateur à l’hygiène du milieu, et Anthony Bourque, contremaître réseau. (Photo Marie-Eve Alarie)

« Ça va souvent par gradation, renchérit M. Bourque. On reçoit d’abord des plaintes d’eau colorée dans un secteur. Pourquoi l’eau est-elle colorée? Après, on tombe en investigation. On fait des analyses sur l’eau potable pour trouver la réponse. Parfois, avant de laisser couler une borne-fontaine, on regarde si on peut faire circuler l’eau dans le secteur pour changer l’eau. On fait des manipulations de vannes qui ne paraissent pas. On va tenter de faire un petit rinçage curatif sur le tronçon touché, tout en continuant les analyses. »

« Quand on est rendu à laisser couler un poteau d’incendie, c’est parce qu’on a vérifié tous les éléments à moindre coût et qu’on n’a pas réussi à régler le problème, mais il faut continuer de s’assurer qu’il y ait de l’eau potable en tout temps. Et on continue d’investiguer en parallèle. Cependant, il arrive que ça prenne des travaux d’envergure pour régler le problème », complète-t-il.

« C’est valorisant de pouvoir donner un bon service aux citoyens »

L’équipe de l’hygiène du milieu est également appelée à interagir avec les citoyens qui éprouvent des problèmes en lien avec le réseau d’eau potable.

« La tournée d’écoute avec le Stethophon n’est pas une job très valorisante, mais au fil du temps, on devient passionné par toutes les facettes de notre travail. Ça fait 18 ans que je suis au réseau. Je ne m’alignais pas du tout vers ce domaine avant de rentrer à la Ville, raconte Mathieu Ricard De Grammont qui voulait initialement se spécialiser en mécanique automobile. J’ai appris à trouver ma place et à aimer donner du service aux gens. »

« Ce n’est pas juste l’écoute de bornes-fontaines. On fait aussi appel à nous pour des fermetures d’entrée de service quand les gens font des travaux à la maison et qu’ils ont besoin de fermer leur eau. On interagit aussi avec des citoyens qui ont, par exemple, des problèmes de pression chez eux pour voir si on peut trouver une solution. C’est valorisant de pouvoir donner un bon service aux citoyens », conclut-il.