Bribes d’humanité et amas de cendres

Gabriel Mondor a réalisé et vendu, au coût des matériaux, une cinquantaine de peintures abstraites qu’il allait ensuite livrer lui-même chez les acheteurs. Ceux-ci savaient qu’ils discuteraient avec l’artiste autour d’un feu de camp, mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est que c’est leur œuvre qui serait brûlée.

Tous se sont prêtés au jeu. « Les réactions ont été larges. Des gens partaient à rire, d’autres à pleurer. Certains vivaient un gros deuil, quelque chose d’inconcevable, alors que d’autres trouvaient ça encore mieux que d’avoir l’œuvre, raconte Gabriel Mondor. Le cœur de la démarche, c’était l’être humain, la rencontre. Ils ont été les seuls à voir leur œuvre physique à part moi. »

Ce que l’on découvre dans l’exposition Brûlures abstraites, présentée à l’Espace Pauline-Julien jusqu’au 26 janvier, c’est cette relation personnelle que nous entretenons avec la possession d’une œuvre d’art physique à l’ère de la culture de consommation numérique.

Le concept derrière l’exposition est venu à Gabriel Mondor à la suite du décès de son grand-père il y a environ deux ans et demi. « Il était mon voisin, j’ai grandi avec lui. J’étais devant ses cendres et je revivais 27 ans de vie et de souvenirs devant ces cendres. Ce contraste m’a fasciné, car je vivais ça avec un tas de cendres, tandis que le gars dans le village qui ne le connaissait pas, pour lui, ce tas de cendres ne vaut rien. C’est juste moi qui vivait cette relation avec ce tas de cendres. »

Les discussions autour du feu de camp ont été enregistrées. Ce sont des moments forts de ces discussions que découvriront les visiteurs de l’exposition. Dans une ambiance qui invite au recueillement, on nous décrit l’œuvre, ce qu’elle faisait ressentir chez les acheteurs, tout en observant l’amas de cendres qui fut jadis une œuvre.

L’artiste trifluvien Gabriel Mondor. (Photo Marie-Eve Alarie)

« Il y a la notion de souvenir et cette notion que si on n’a plus quelque chose physiquement chez soi, est-ce que ça n’existe plus? Comme des gens qui ne sont plus là et qui nous marquent à vie. Le sens de l’art est-il dans la matérialité de l’objet où dans ce que l’on vit. Mon but était aussi d’accompagner les gens là-dedans, que ça reste sain comme expérience et qu’on puisse grandir là-dedans », ajoute-t-il.

Les conversations sont variées et touchantes et donnent accès à des instants de vulnérabilité et de réflexions personnelles.

« Pour moi, c’est un privilège d’échanger avec les gens. Là, en plus, c’est rare qu’on se confronte à brûler une œuvre. Dans le bonheur, la tristesse ou le deuil, on a vécu quelque chose d’exceptionnel. Une toile, tu peux la prendre pour acquis au final. Tu ne la vois plus sur ton mur. Mais quand tu sais qu’elle va disparaître, elle prend une valeur différente », remarque l’artiste.

Pour ce projet, Gabriel Mondor avait conçu un foyer spécial et éclairé qui permettait aux gens de bien voir leur œuvre avant et pendant qu’elle brûlait. Il est également exposé à l’Espace Pauline-Julien. Le lieu a d’ailleurs été transformé pour créer trois zones distinctes dans l’exposition.

Et la suite

À la fin de l’exposition, l’artiste propose aux visiteurs de tenter l’expérience à leur tour. Ceux qui le désirent peuvent choisir une toile. Celle-ci sera brûlée autour d’un feu de camp de la même façon. Par contre, elle restera chez la personne au minimum pour un an…et les gens ne sauront pas quand viendra le moment de lui dire adieu.