Jocktan Chainey choisit sa famille
Le 26 mai 2019, les Mooseheads d’Halifax affrontaient les Huskies de Rouyn-Noranda en grande finale de la Coupe Memorial. Le match est suivi partout au Canada et constitue un tremplin formidable pour les jeunes hockeyeurs qui y prennent part. Halifax s’incline au compte de 4 à 2 et tout est clair pour le défenseur Jocktan Chainey: il a donné ses derniers coups de patin.
Et ce n’est pas par manque d’opportunités. Jocktan a été repêché par les Devils du New Jersey, formation de la Ligue nationale de hockey (LNH), deux ans auparavant, en plus d’enfiler l’uniforme du Canada au Championnat du monde des moins de 18 ans. Il a également fait partie de deux éditions des équipes d’étoiles de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) qui ont affronté les meilleurs joueurs de la Russie. Il a le talent et le CV pour passer chez les professionnels. Le contrat proposé par les Devils ne lui convient toutefois pas.
«Ce n’était pas un super contrat, c’était des pinottes, se rappelle l’ancien Estacades de Trois-Rivières qui a accepté de revenir sur cette décision. C’était un contrat entre la East Coast et Ligue américaine et je n’avais pas de bonus de signature. Le salaire était dans les plus bas. Je me suis demandé si ça me tentait d’aller passer trois ans là-bas à essayer de monter et que finalement ça ne fonctionne pas. Je n’aurais pas été capable de me mettre de l’argent de côté non plus.»
La copine de Jocktan attend également une petite fille qui naîtra quelques mois plus tard, le 18 août.
«J’ai eu un petit bébé surprise et la famille a toujours été importante pour moi, soutient-il. Le hockey, ce n’est pas un milieu stable. J’étais rendu à un stade où je voulais me placer. Je travaille chez Cascades, j’ai ma maison et une routine avec ma fille et ma blonde. J’aime bien ça. Avec le hockey, je n’étais pas là. Je veux être le plus présent possible et la famille c’est archi-important.»
Leucémie et rémission
Jocktan Chainey arrête donc complètement de jouer au hockey et retourne chez lui à Val-des-Sources, alors Asbestos, pour mener une vie tranquille avec sa copine Gabrielle et sa fille Ivy.
Son monde passe toutefois bien près de s’effondrer quelques mois plus tard. Le 9 avril, les médecins diagnostiquent à Ivy une leucémie myéloïde aigüe doublée d’une anomalie génétique. Une combinaison extrêmement rare Ivy est la troisième au monde à recevoir ce diagnostic. Elle doit donc, avant même de souffler sa première bougie, entamer un cycle de chimiothérapie.
Commencent alors de longs séjours à l’hôpital pour la jeune famille.
«Je me dis que c’est une bonne affaire d’avoir arrêté parce qu’avec ma petite qui a eu sa leucémie, j’aurais arrêté de toute façon pour être présent, admet Jocktan. Il n’y a rien qui arrive pour rien. C’est un autre monde d’avoir un enfant et c’est précieux ce que ça apporte comme bonheur.»
Les efforts de la famille ont été récompensés le 19 octobre lorsqu’Ivy a obtenu son congé définitif de l’hôpital après s’être débarrassé de son cancer. Elle se porte aujourd’hui très bien. Elle a des suivis tous les mois en oncologie et des ponctions tous les deux mois afin de déceler le cancer plus rapidement s’il revient.
Pas de regret
Près de deux ans après son dernier match de hockey, Jocktan n’a aucun regret d’avoir mis une croix sur une carrière de hockeyeur.
«Je m’ennuie de jouer, mais c’est une étape de ma vie qui est terminée, souligne-t-il. Je suis rendu ailleurs. Parfois, je m’ennuie de l’ambiance dans une chambre de hockey avec les gars. Je m’ennuie, mais je ne le regrette pas.»
Beaucoup d’équipes seniors de la région ont contacté Jocktan pour lui demander d’enfiler l’uniforme. Les risques de blessures ainsi que la paie, souvent dérisoire, l’ont convaincu de ne pas rechausser les patins. Il ne joue pas non plus dans une ligue de garage ou au dek hockey.
«Aussitôt que les gens jouent contre moi, ils s’essayent parce que j’ai joué haut niveau, déplore-t-il. Je me fais slasher. J’ai joué quelques fois, mais j’ai arrêté, je n’ai pas de fun. Je me suis prouvé toute ma vie au hockey, alors d’aller jouer au dek, j’y vais pour m’amuser.»
La prochaine fois que Jocktan retournera sur la glace, ce sera probablement pour montrer à Ivy à patiner. (Simon Roberge, Initiative de journalisme local / La Tribune)