Une première infirmière auxiliaire communautaire dans la rue
Roxanne Gagné occupe un poste taillé sur mesure pour elle et qui met toutes ses compétences au service d’une clientèle vulnérable, soit les personnes en situation d’itinérance. Elle leur prodigue des soins mais elle fait bien plus: elle veut rétablir leur lien de confiance avec le système de santé.
Roxanne a dernièrement complété un certificat en santé mentale à l’UQTR après avoir d’abord obtenu un DEP comme infirmière auxiliaire en 2016. Son parcours professionnel a débuté de façon plutôt classique.
« J’ai commencé par travailler en milieu hospitalier à l’hôpital Sainte-Marie. J’étais sur les étages pré et post chirurgie. En même temps, je travaillais au Centre de réadaptation en dépendance Domrémy. J’ai arrêté pour diverses raisons. Pour moi, ce n’était pas ce qui me représentait vraiment. Je voulais vraiment être plus des patients. »
À ce moment, le Centre Le Havre fait paraître une offre d’emploi pour un poste d’intervenante sociale qui attire l’attention de Roxanne.
« C’était vraiment le genre de clientèle avec laquelle je voulais travailler: santé mentale, toxicomanie. J’ai postulé puis ça s’est enchaîné. Quelques mois plus tard, avec l’arrivée de la COVID, le poste d’infirmière auxiliaire a été ouvert. »
C’est à ce moment qu’un projet qui était dans les plans du Centre Le Havre a trouvé son financement.
« On a vu tout de suite, au niveau de la pandémie, les besoins en santé, explique la directrice générale, Karine Dahan. On s’est dit: »Tiens, on a une infirmière auxiliaire qui n’est pas infirmière ici, mais qui l’est quand même. » C’était aussi pour nous l’ouverture d’un poste qui annonce de la pluridisciplinarité dans une équipe, ce qui vient dans notre dynamique clinique. Le poste était justifié par la COVID. Ensuite, on a démontré qu’hors COVID, il était justifié aussi. Post-pandémie, on l’a pérennisé. »
Sur le terrain, la transition s’est faite tout naturellement.
« On s’est rendu compte que les demandes venaient à moi assez facilement pour la médication ou des plaies ou des injections d’antipsychotiques, précise Roxanne. Donc on s’est rendu compte que le besoin était là, en fait plus que pour la COVID. »
Au quotidien, le travail de Roxanne consiste entre autres à dresser le bilan de santé de tous les usagers du Havre et du refuge.
« J’ai vraiment une mentalité peut-être un peu différente du psychosocial. La santé physique et la santé mentale, l’un ne va pas sans l’autre. C’est juste normal que je sois capable de faire le psychosocial et la santé mentale et physique. Un humain, c’est l’ensemble de ces trois sphères-là. Donc, j’essaie d’avoir un portrait global de la personne. »
Dans la rue, elle fait réaliser aux gens qu’ils valent la peine qu’on s’occupe d’eux.
« J’accompagne l’équipe mobile sur la rue quand il y a des besoins pour des personnes qui ne viendront pas dans nos services encore, mais qui vont venir éventuellement. Je pense qu’ils me voient sur un même pied d’égalité. Ils se confient à moi: c’est plus naturel. Parfois, j’ai l’impression que je suis leur voix dans le système. Je sens que je fais une différence et que mon apport a une valeur bien plus grande. »
Un premier pas est alors franchi pour aider à rétablir la confiance que cette clientèle peut avoir perdu.
« On travaille avec des gens qui sont très loin des institutions, qui ont perdu confiance dans les institutions, observe Mme Dahan. Notre travail, c’est de permettre aux gens d’avoir accès à des services essentiels sur place et de pouvoir ensuite travailler des liens de confiance suffisants pour pouvoir les raccompagner vers les institutions. On ne se substitue pas aux institutions, mais il y a un moment où il faut bien être entre deux. »
La directrice générale du Centre Le Havre, Karine Dahan et l’infirmière auxiliaire communautaire Roxanne Gagné. (Photo Stéphane Laroche)
Une reconnaissance
L’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires a profité de la Journée mondiale de l’itinérance pour honorer Roxanne Gagné.
« Je trouve ça vraiment très beau, très touchant. C’est une belle reconnaissance, surtout comme infirmière auxiliaire, parce que souvent c’est un travail qui passe un peu plus dans l’ombre. »
La diffusion d’une vidéo par l’Ordre sur la travail de Roxanne en inspire plusieurs.
« Des infirmières auxiliaires d’un peu partout m’appellent en me disant »Je voudrais tellement faire ça, mais personne ne veut me donner la chance parce que c’est compliqué ». Ce serait vraiment le fun de créer des petits un peu partout parce que ça désengorgerait plein d’urgences, de CLSC. »
Un phénomène que l’Ordre rapporte dans le communiqué rendant hommage à Roxanne.
« Depuis son entrée en fonction, le nombre d’usagers issus de l’itinérance qui se tournent vers l’urgence a diminué. Désormais, ces personnes se tournent vers l’infirmière auxiliaire directement. Tout dépendant des situations, lorsque les cas requièrent une visite à l’hôpital, Roxanne s’assure d’accompagner ses patients à travers ce processus. »
Le Centre Le Havre a-t-il créé un modèle qui pourrait être reproduit ailleurs au Québec?
« Plein de monde va nous appeler en disant »C’est tellement génial! », concède la directrice générale du Centre Le Havre. Mais on ne peut pas vendre seulement le concept d’infirmière dans un établissement communautaire d’hébergement. Il faut tout le reste autour, le partenariat, toute la transversalité qu’on a mise en place depuis 30 ans quasiment. Le poste de Roxanne s’inscrit dans une dynamique clinique générale qu’on appelle la trajectoire de service. Elle prend tout son sens parce qu’elle est un service au milieu d’un ensemble de services qui justifient notre pratique clinique. »
Un dernier défi
Selon Karine Dahan, il reste quand même encore un travail de longue haleine à faire auprès du réseau de la santé quant à la reconnaissance complète de la première infirmière auxiliaire communautaire.
« Roxanne est une professionnelle de la santé qui est désaffiliée du CIUSSS, mais elle prodigue des soins à des personnes qui rentrent dans le système quand même. Il faut que la reconnaissance soit suffisante pour lui donner la possibilité de pouvoir directement accéder au dossier des patients, d’être autonome dans le fait de pouvoir inscrire au dossier un acte qu’elle fait, il faut que ce soit répertorié quelque part. »
« On a tout ce chemin-là à faire maintenant, conclut-elle. J’espère que l’hommage de l’Ordre sera une porte ouverte pour faire reconnaître finalement une nouvelle façon, qu’on a créée ici, de faire le métier d’infirmière auxiliaire, en espérant qu’on puisse encadrer cette fonction-là de façon à ce que non seulement elle soit reconnue dans ces fonctions, mais qu’après, il y ait tout le cadre administratif qui soit facilité. »