La technologie au service d’une meilleure mobilité à Trois-Rivières
Des traverses piétonnes intelligentes capables d’adapter la luminosité et la durée des temps de traverse, la possibilité de gérer à distance le trafic aux heures de pointe: tout cela pourrait devenir réalité à Trois-Rivières d’ici une dizaine d’années et la Ville a un plan pour y arriver. Bienvenue dans l’ère des systèmes de transport intelligents.
Un projet-pilote est déjà en cours avec la compagnie de camionnage Somavrac sur les rues Père-Daniel et Bellefeuille, ainsi que du boulevard Gene-H.-Kruger jusqu’à l’usine Kruger Wayagamack. Ce sont 14 feux de circulation qui ont été connectés dans l’objectif d’optimiser la mobilité et réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport de marchandises.
« Il fallait moderniser les feux de circulation, installer des capteurs et acquérir des données. En collaboration avec l’Université Laval, on a monté un modèle montrant comment est faite notre circulation. On est ainsi capable de dire la quantité de carburant économisée par les camions, mais aussi de savoir si ça a été fait au détriment de la population. On prévoit obtenir les résultats d’ici la fin du printemps ou le début de l’été », précise Vincent Turgeon, coordonnateur – Systèmes des technologies opérationnelles à la Ville de Trois-Rivières.
Cette technologie permet aux feux de circulation connectés de détecter l’approche de camions de transport de marchandises munis d’émetteurs pour réduire le nombre d’arrêts en dehors des périodes de pointe. En moyenne, les camions inclus dans ce projet-pilote font quotidiennement 22 allers-retours sur ce tronçon et chaque accélération suivant un arrêt complet nécessite en moyenne un litre de carburant.
« Ultimement, l’idée est d’automatiser le maximum possible en mobilité. On instrumente nos équipements avec des appareils qui collectent des données en temps réel. Par exemple, à terme, on pourrait voir où il y a des problèmes de mobilité en temps réel et appliquer des solutions pour aider. À Montréal, ils pouvaient collecter des données en temps réel et prévoir le trafic qu’il y aurait 15 minutes plus tard. Ça permettait de prendre des actions en prévision », détaille Samuel Laperrière, architecte de systèmes à la Ville de Trois-Rivières.
Même chose à Québec où les employés au centre de contrôle pouvaient ajuster le phasage des feux de circulation à distance s’ils constataient une congestion importante.
Des bénéfices intéressants
C’est en 2019 que la Ville a commencé à se pencher plus sérieusement sur le concept de ville intelligente. Cela a notamment été motivé par la complexité des projets d’expansion du système de préemption pour les véhicules d’urgence – la lumière blanche clignotante que l’on trouve sur certains feux de circulation pour prioriser le passage des camions de pompiers -, puisque la compagnie qui les produisait a fait faillite.
« On avait installé ça en 2010. Entre 15 et 20 camions avaient été équipés du système qui consiste en une boite noire dans le camion qui communique avec le feu de circulation. On a peu de contrôle sur ce type de système. Par exemple, c’était impossible de l’adapter pour autre chose que pour les véhicules de sécurité incendie. On avait des projets d’expansion, mais la compagnie a fait faillite. La technologie a évolué depuis 2010, donc on a fait une tournée pour voir ce qui se faisait ailleurs », raconte M. Turgeon.
Montréal, Québec, Laval, Sherbrooke, Lévis: toutes ces villes commençaient à utiliser des systèmes de transport intelligents. Plusieurs bénéfices y ont été constatés: gains de temps pour les usagers, report d’investissements en infrastructures routières, utilisation optimisée et sécuritaire des infrastructures existantes, etc.
Une question d’équité
Pour bâtir le Plan stratégique de mobilité intelligente, la Ville est allée chercher l’expertise de différentes organisations, dont Roulons Vert, la Société de transport de Trois-Rivières, Innovation et développement économique et le Centre de réadaptation InterVal.
« On souhaitait prendre en considération tous les besoins de mobilité pour que ce soit durable dans le temps et que ce soit réalisé à un meilleur coût, mentionne Vincent Turgeon. Ça inclut donc les stationnements intelligents, l’information aux voyageurs, la priorisation des véhicules de sécurité incendie et l’amélioration du transport collectif. On voulait également impliquer le milieu économique, industriel et commercial. Au final, on constate que les gens veulent essentiellement améliorer la sécurité et l’efficience. »
« Ce qui est plus particulier à Trois-Rivières, toutefois, c’est le besoin d’équité. Il y a un énorme besoin d’équité entre les modes de transport et les usagers, poursuit-il. On ne veut plus favoriser l’auto solo seulement. Il y a aussi le transport actif et le transport en commun qui s’ajoutent. Au niveau générationnel également, il faut être capable d’équité entre les jeunes, les aînés et les personnes à mobilité réduire. »
« C’est intéressant ici parce que la ville a une dépendance très forte à l’auto. La part modale de transport actif est plus faible et la ville se fait plus vieillissante. Ce retard au niveau de la part modale vient donner plus d’importance au principe d’équité », complète M. Laperrière.
Il en est ressorti 800 possibilités d’action, dont environ 200 en mobilité plus précisément. Douze grands projets en ont émergé, tels que la mise en place de traverses piétonnes intelligentes capables d’adapter la luminosité et la durée des temps de traverse, la priorisation du transport collectif aux feux de circulation, la gestion du trafic aux heures de pointe, ainsi que l’optimisation de la logistique des opérations de déneigement et de collecte des matières résiduelles.
De son côté, le système de préemption des véhicules d’urgence sera mis en place d’ici la fin du premier trimestre de 2023. Le système fait actuellement l’objet de tests. « On s’en sert pour bâtir l’infrastructure. On a aussi une dizaine de traverses piétonnes intelligentes qui sont déployées en collaboration avec les Travaux publics. On les dit intelligentes parce qu’on y amène l’électricité et qu’il y aurait la possibilité d’acquérir des données sur l’utilisation des traverses », ajoute M. Turgeon.
Le transport en commun dans la mire
Un vaste projet de priorisation du transport collectif est aussi en démarrage avec la Société de transport de Trois-Rivières (STTR). À terme, ce projet permettra de prioriser les autobus de la STTR aux carrefours contrôlés par un système de feux de circulation pour réduire le temps d’arrêt, améliorer le respect de l’horaire des lignes de la STTR et améliorer l’impact environnemental du service.
La Ville et la STTR analysent les feux de circulation qui pourraient être adaptés pour ce projet. La Société de transport de Trois-Rivières doit également se transformer numériquement.
La petite révolution de Trois-Rivières
Le nerf de la guerre pour parvenir à réaliser les différents projets du Plan stratégique de mobilité intelligente de Trois-Rivières, c’est l’acquisition de données sur la mobilité à travers la ville.
« Il faut d’abord construire un centre de données et un système de distribution des données, ce qui nous permettra d’intégrer les projets les uns avec les autres pour utiliser un seul système central. On s’est servi du modèle du système de préemption des véhicules d’urgence comme base lorsqu’on a dû le moderniser », note d’abord Vincent Turgeon, coordonnateur – Systèmes des technologies opérationnelles à la Ville de Trois-Rivières.
« Le système de distribution de données est une infrastructure numérique infonuagique, sur des serveurs. Tous les projets ont des données, explique-t-il. Prenons l’exemple d’un camion du service des incendies. Numériquement, il représente une position GPS. On a les coordonnées, l’identification du camion, sa position, l’état de son moteur, si le gyrophare est en fonction et si le frein à main est activé. Si le camion est en fonction et déclenche son gyrophare, le système assume qu’il est en urgence. On récupère alors la donnée via le centre de données et elle est envoyée à plusieurs systèmes qui la transformeront en une requête de priorisation aux feux de circulation. La donnée, c’est notre matière première. »
Normalement, quand la Ville voulait intégrer une nouvelle technologie, elle faisait affaire avec un fournisseur. L’ennui, c’est que le fournisseur était le propriétaire des données au final. La petite révolution que propose Trois-Rivières, c’est qu’elle souhaite être propriétaire de ses données. Cela permettra de les utiliser ou encore de les remettre à un tiers.
« Le système qu’on implante, on le veut le plus générique possible pour que n’importe quel intervenant puisse publier ou recevoir des données sur ce système. On a des exigences assez élevées avec les fournisseurs et quiconque qui souhaite se brancher. Il y a aussi des règles à suivre pour que la donnée reste compréhensible dans le système. D’une certaine façon, il faut que toutes les données parlent la même langue pour assurer la compatibilité, image Samuel Laperrière, architecte de systèmes à la Ville. Ça nous permettra aussi de faire vivre le système à plus long terme. »
« En gardant le contrôle de nos données, on limite également notre exposition au risque qu’un fournisseur fasse faillite, de sorte que si ça survient, c’est seulement une branche qui tombe et non l’arbre en entier. C’est un modèle flexible », ajoute-t-il.
Cependant, cette volonté de la Ville de Trois-Rivières d’être propriétaire de ses données confronte le marché actuel.
« À l’approvisionnement, on a des systèmes où on est menotté par les fournisseurs, où on n’a pas le choix de leur donner nos données. Ce qu’on désire, c’est de pouvoir faire un appel d’offres pour obtenir un morceau de leur solution globale plutôt que pour l’entièreté d’un système. Ça nous ouvre des possibilités », souligne M. Turgeon.
« Mais ça confronte le marché, renchérit M. Laperrière. Parfois, c’est comme si on demandait de briser un système en morceau tout en voulant avoir accès aux liens entre ces morceaux. De plus en plus de personnes adhèrent à cette vision et je pense que plus ça va aller, plus le marché va s’adapter au besoin de la clientèle. Plus ça va, plus les gens vont exiger certaines contraintes. »