(OPINION) Payée au féminin
À Mme Sonia Lebel,
Je vous transmets cette lettre écrite pour ma fille, dans laquelle je lui explique ce que ça veut dire être « Payée au féminin ». En espérant que cela puisse vous faire réfléchir sur la réalité du travail au féminin dans les domaines publics et parapublics.
À Alice que j’aime,
Dans quelques semaines, le secondaire t’attend. Je dois prendre le temps de te parler de quelque chose qui occupe souvent mes pensées dernièrement. Depuis que tu sais parler, mais beaucoup plus depuis que tu sais écouter, je ne te dis pas toute la vérité. Pourtant, mon rôle de père m’exige de te donner les outils pour que tu deviennes la meilleure version possible de toi-même. Des fois, je me demande si j’ai fait les bons choix.
Certains diront que ce sont des mensonges blancs, inoffensifs. Tu sais, comme la fois, toute petite, où je t’ai fait croire que si tu mangeais tes pépins de pomme, un arbre pousserait dans ton ventre. Cette fois-là, tu t’es mise à les ramasser pour les partager, pour que plus personne n’ait faim. Sans que tu t’en aperçoives, j’ai économisé les miens pour les semer dans ton esprit. Des pépins de justice sociale, d’engagement, de détermination, de partage, de respect, d’équité… Ceux que je croyais indispensables.
La vérité c’est que ton genre vient avec son lot de difficultés, comme une anomalie sociétale au sein de la loterie génétique. Dans notre société qu’on dit à tort égalitaire, un fossé existe encore entre les femmes et les hommes. Bien que je tente de le combler du mieux que je peux, d’autres continuent de le creuser aveuglément.
Toute ta vie, tu devras trop souvent te plier aux doubles standards sur le physique, la façon dont tu t’habilles, dont tu parles, dont tu penses… Tu devras faire face aux commentaires dégradants sur les réseaux sociaux lorsque tu dénonces des aberrations. Tu subiras des discriminations chaque jour et dans toutes les sphères de ta vie. Elles te suivront dans tes relations, dans tes actions, dans tes choix et dans ton emploi. Ta force, ton courage et cette hargne que tu ressens devant les injustices, ces grandes qualités, te feront malheureusement rager au quotidien.
Tu devras vivre avec le secret de polichinelle qu’on s’époumone à crier depuis des années. Prendre soin des autres est un rôle qu’on incombe aux femmes. Pendant que tu vivras ta « vocation », les hommes, eux, bâtiront, construiront et brasseront leurs grosses affaires.
Pour reconnaissance, quelques mots doux, des applaudissements et des « vous êtes des héros » tout en te « mecspliquant » que ton travail est une dépense, que tu es une dépense. On te fera croire qu’eux créent la richesse, parce que c’est une évidence que le travail au féminin rapporte moins que celui typiquement masculin. Parce qu’aux yeux de ceux qui gèrent notre nation, tu vaux moins que les garçons qui t’entourent.
Peut-être que je suis un peu intense et pessimiste. Ce que je devrais te dire c’est que je vais tenir ces promesses : je vais continuer de défendre l’équité. Je vais continuer de chercher des solutions plus humaines pour améliorer notre société. Je vais faire tout ce que je peux pour mettre fin à ce « boys club » qui nous gouverne. Je vais continuer de semer des pépins pour qu’un jour, grâce à nous toutes et tous, nous atteignions le moment où celles et ceux qui prennent soin des autres arrêtent d’être payés au féminin.
Jean-Christophe Côté-Benoît
Agent de relations humaines CIUSSS MCQ
Représentant national APTS