«L’énigme de Trois-Rivières»: une critique

(En réaction à l’article Fondation de Trois-Rivières: sur les traces de Bochart)

Le lendemain de la Fête du Travail à Trois-Rivières, avait enfin lieu le lancement du livre de monsieur Yannick Gendron « L’Énigme de Trois-Rivières » après plus de 18 mois de retard. D’après la documentation amassée et étudiée, il s’agit assurément d’un ouvrage d’érudition. Nous invitons bien sûr les amateurs d’histoire à se le procurer. Nous aurions souhaité cependant que la préface soit signée et ainsi sanctionnée par un historien de renom.

La thèse principale de l’auteur, comme le titre du livre l’évoque, consiste à déterminer l’identité du fondateur de Trois-Rivières. D’après monsieur Gendron, c’est à Théodore du Plessis Bochart que doit revenir cet honneur. En effet, selon lui, ce sont les Jésuites qui auraient remplacé son nom par celui d’un certain Laviolette parce que Bochart dit-il, était protestant.

Notons au passage que Gendron ne mentionne ni ne commente notre brochure « Le Catalogue des Trépassés, le sieur de Laviolette et la fondation de Trois-Rivières » publié en 2017. C’est de bonne guerre mais comme notre ouvrage traite exactement de son sujet, négliger d’apprécier cette source secondaire n’est pas le fait d’un historien consciencieux.  D’autant plus que comme l’écrit Gendron lui-même (p. 55)  » l’identification de l’auteur du Catalogue des Trépassés permettrait d’attester de sa fiabilité et que la découverte du moment précis auquel le Catalogue a été rédigé constituerait une avancée extraordinaire » ( p. 49 et 50), deux question très importantes auxquelles notre brochure répond. Conséquence: Les chapitre 5 et 6 de la première partie de son livre étaient dépassés avant même d’être mis sous presse. Dommage.

Convenons d’abord que si Bochart n’était pas protestant, les Jésuites n’auraient donc eu aucune raison de remplacer son nom par celui de Laviolette. Attardons-nous donc sur cette question.

Dans son livre Gendron mentionne une vingtaine de fois que Bochart est protestant mais ce n’est que dans le dernier quart de l’ouvrage qu’il tente de nous le démontrer. À la page 331, il nous montre ce qu’il considère être l’acte de baptême de Bochart tiré du registre de l’Église réformée de Paris. En fait, ce n’est pas un acte de baptême mais des notes d’Eugène Haag. Selon la page-titre de ce recueil, elles proviennent des archives du Palais de Justice et de l’Hôtel de ville de Paris qui ont été incendiées en 1871.

Mais ce baptême n’a pu être administré à Paris parce que l’article 14 de l’Édit de Nantes interdisait l’exercice de la religion protestante dans cette ville et jusqu’à 25 km autour. De plus, l’acte est incomplet. Il n’indique pas le nom du pasteur officiant ni à quel endroit il a e lieu.  Selon nous, c’est à Ablon-sur-Seine, 25 km au sud de Paris, que le baptême aurait été administré. Enfin, l’acte est barré, comme bien d’autres dans ce recueil. Ces notes devraient être rejetées comme ne représentant pas l’acte de baptême authentique de Bochart. Mais faisons confiance à Haag et admettons que Bochart ait été baptisé protestant.

Le contrat de mariage ne nous dit rien là-dessus. Par contre, l’acte de sépulture reproduit à la page 386 nous dit beaucoup. En effet, Calvignac, curé de la paroisse de Saint-Romain de Blaye écrit:  » Il a receu les sacrements par moi », ce qui indique à coup sûr que Bochart est mort catholique. Monsieur Gendron s’est bien gardé de nous transcrire cette phrase.

Ajoutons à cela que dans l’accord de Metz du 20 janvier 1632, conclu entre le Cardinal de Richelieu et Guillaume de Caën, qui prévoyait la reprise de Québec aux mains des frères Kirk et dans lequel Bochart devait agir à titre de lieutenant d’Émery de Caën, le cardinal stipule que:  » Le Capitaine hyvernera dans le fort de Québec avec les hommes qui luy auront esté donnés par ladite compagnie de la Nouvelle France & par ledit Guillaume deCaën, lesquels seront tous catholiques ». Et bien que Gendron cite ce document en page 194,  mais sans indiquer où on peut le trouver, encore une fois, il se garde bien de nous transcrire cette phrase. Pourtant le titre de ce chapitre est bien  » La reprise de Québec sous la loupe ».

Pour finir, mentionnons les deux baptêmes administrés à Québec et Trois-Rivières, en 1633 et 1636 par le Supérieur des Jésuites Le Jeune dans lesquels Bochart est nommé parrain. Si Bochart en ces deux occasions est parrain, c’est qu’il est catholique. En effet, autant l' »Instruction générale du cardinal de Joyeuse » de 1607, que le « Rituale Romanum » de 1615  que cite Gendron en page 47-8 , ou le Catéchisme de Bellarmin de 1616 sont unanimes: un hérétique ne peut être parrain lors d’un baptême catholique. Aujourd’hui comme hier, cette règle ne souffre aucune exception. On en viendra même à demander au candidat parrain « s’il veut vivre et mourir en la foy de l’Église catholique, apostolique et romaine ». Exactement l’expression qu’emploie le père Le Jeune lors de la conversion de deux protestants arrivés de France en juillet 1636 (p. 304).

Il ressort de tout ceci que si Bochart a été baptisé protestant, il s’est sûrement converti à la religion catholique avant 1632, tout comme son oncle et ex-tuteur Pierre Berger (p. 341-2) et même le père Le Jeune dans son adolescence (p. 136 et 206). Ainsi la thèse de monsieur Gendron tombe d’elle-même.

Laviolette demeure toujours le fondateur de Trois-Rivières.

Nous publierons une critique au long bientôt dans laquelle nous expliquerons entre autres, pourquoi Bochart n’a pu être commandant de Trois-Rivières, pas plus que Lieutenant de Champlain.

 

Guy Héroux, historien