Il avait couché avec 42 femmes

Vous avez un immigrant dans votre entourage? Rapprochez-vous de lui. Aidez-le à améliorer son français. Montrez-lui que les gens de Trois-Rivières sont disposés à accueillir les immigrants à bras ouverts.

Des sceptiques dans la salle?

Sachez que la puissance des États-Unis s’explique en partie par l’immigration. Là-bas, on accueille des milliers d’immigrants chaque année. Souvent ceux que d’autres pays ne veulent pas. Ce n’est pas un hasard si la plupart des prix Nobel gagnés par les Américains au cours du dernier siècle avaient des noms impossibles à prononcer: polonais, allemands, indiens, japonais, iraniens.

L’Hebdo Journal amorce un nouveau dossier sur l’immigration. La semaine dernière, Patrick Charlebois, président de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières, ouvrait la marche avec des phrases percutantes:

«Les immigrants ne volent pas nos jobs. Ils prennent les emplois qui sont disponibles».

«Nous avons et nous aurons un besoin de main-d’œuvre et les immigrants comblent un manque».

«Les employeurs doivent poser des gestes tangibles et engager des immigrants, auxquels ils ne pensent pas assez actuellement», soutient-il.

«On va y arriver à petit feu. C’est un réflexe à développer. Les immigrants ont un parcours culturel différent, mais il faut revoir nos façons de faire. Un genre d’accommodement raisonnable. Il faut leur faire de la place, parce qu’on ne fait pas assez d’enfants au Québec. En région, c’est pire!»

Notez bien la phrase: «C’est un réflexe à développer. »

Cela sous-entend que le réflexe n’est toujours pas là chez plusieurs Trifluviens. On l’a vu lors de l’arrivée de la candidate péquiste Djemila Benhabib aux élections provinciales. Il s’est dit des monstruosités qui finiront par nuire à la réputation de Trois-Rivières et de toute la Mauricie si le réflexe de l’accueil ne se développe pas.

Mise à part l’urgence économique d’accueillir l’immigrant, il y a aussi le plaisir de le côtoyer. Comme disait Pierre Trudeau, il a peut-être lu un livre que je n’ai pas lu, vu un paysage que je n’ai pas vu, connu un personnage que je n’ai pas connu.

J’en ai côtoyé des immigrants. J’ai récolté des moments, des déclarations, des expériences inoubliables. Je passe sous silence les Français et les Françaises. Ils sont nos p’tits cousins quand même! Ils font partie de la famille.

Poulet frit Kentucky

Ils avaient l’air de deux bêtes traquées dans le coin de la chambre. Lorsque je passais devant la porte ouverte, ils me regardaient, l’air terrifié. Le plus grand avait les cheveux noirs et crépus, le plus petit avait les cheveux bruns et soyeux.

Je me suis avancé pour me présenter comme tous les chambreurs de la maison. Ils étaient Iraniens. Grâce à l’argent de leurs parents, ils avaient fui l’Iran. Parce qu’ils n’étaient musulmans, ils se disaient persécutés par la police secrète de l’ayatollah Khomeiny. C’était après la Révolution islamique de 1979.

Les deux Iraniens avaient fui, de nuit, par les montagnes avant d’aboutir en Turquie. C’était un gros risque. S’ils avaient été attrapés, leurs familles, qui devaient venir les rejoindre plus tard, se retrouvaient en prison. Bref, ils étaient des réfugiés politiques.

C’était la première fois que j’accueillais des immigrants dès leur arrivée pour les accompagner dans leurs premiers mois en terre étrangère. J’ai bien fait mes devoirs: je les ai guidés dans l’apprentissage du français, je leur ai montré les expressions québécoises les plus vulgaires et je les ai emmenés manger du poulet frit Kentucky. Ca, je le regrette énormément. Pas les expressions vulgaires, mais le Kentucky.

Filles et boules de neige

Un soir, le grand aux cheveux crépus jouait dehors. C’était l’hiver. Plein de neige partout. Il rentre en coup de vent : «Jocelyn, je voudrais savoir si ce que je fais est correct. Moi et trois filles, on s’amuse à se lancer des boules de neige. Mais aucune de ces filles n’est ma copine. En plus, elles sont trois. Est-ce bien un gars jouant avec trois filles?»

Moi de lui répondre: «Mais tu es au Canada mon cher, tu peux jouer avec le nombre de filles que tu veux et le nombre de boules que tu veux!»

Le grand aux cheveux crépus est même venu passer Noël chez ma famille à Yamachiche. Souvenez-vous : je vous avais raconté l’histoire dans «Un chameau dans la neige et le froid » l’an dernier.

Qu’ai-je retenu de mon expérience avec les deux Iraniens? Le sentiment du devoir accompli.

Le Russe

Je n’ai passé qu’une journée avec Igor, mais quelle journée !

Igor avait fui l’Union soviétique. Il vivait seul à Montréal avec sa mère. Mon patron m’offre deux billets pour un match du Canadien : «Tiens, amène-le au Forum! Les Russes adorent le hockey.»

Après le match, on avait jasé en marchant au centre-ville de Montréal. Sur le chemin du retour, Igor me demande dans l’auto :

-Jocelyn, tu as couché avec combien de femmes?

J’étais vexé.

-Igor ! On se connaît à peine !

Igor s’excuse. Deux minutes plus tard, il se met à compter sur ses doigts en silence. Puis, sur un ton de triomphe:

-Moi, j’ai couché avec 42 femmes !

Avouez que c’est beaucoup. Curieux, je lui ai demandé comment il pouvait arriver à un chiffre aussi exact.

Facile. Igor vivait seul avec sa mère dans son village de Russie. Comme on sait, les Russes boivent beaucoup de vodka. Trop de vodka. Arrive un moment où, au lit, ils perdent de l’énergie. Vous me voyez venir ? Comme Igor ne buvait pas de vodka, les femmes du village se passaient le mot.

Qu’ai-je retenu de mon expérience avec Igor? Qu’il y a des gars plus chanceux que d’autres dans la vie.

La Chinoise

Autrefois étudiante à l’UQTR, elle vient nous voir une fois par année, moi et ma copine. Elle est artiste. Elle nous raconte ses problèmes d’immigrante, ses angoisses, ses joies, ses déceptions. La vie en Chine aussi.

Elle entretient un rêve: rapprocher les artistes québécois des artistes chinois. C’est l’œuvre d’une vie, madame ! Et c’est énorme ce que ça va demander en termes de temps et d’effort. Et pour cela, cette fille-là a toute mon admiration.