Personnalités sombres: « les Darth Vader du milieu de travail »
On entend rarement parler de psychopathes ou de personnalités sombres en milieu de travail. C’est au cœur des recherches que mène Cynthia Mathieu, psychologue industrielle-organisationnelle et professeure à l’école de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Mercredi, elle a sensibilisé les membres de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières (CCI3R) sur ces personnalités nocives en milieu de travail, surtout lorsqu’elles accèdent à des postes de gestionnaire dans une organisation.
Les études sur ce sujet établissent que les personnalités sombres peuvent représenter entre 1% et 6% des travailleurs d’une organisation. Les trois grandes personnalités sombres identifiées en milieu de travail par les recherches sont les narcissiques, les machiavéliques et les psychopathes. Leur point commun: leur insensibilité et leurs capacités à manipuler les autres.
Il y aurait environ 6% de personnalités narcissiques dans la population générale. « Les personnalités narcissiques ont un sens grandiose de leur propre personne et ils se croient sincèrement supérieurs aux autres. Leur faille, c’est quand ils vivent un échec, ils mettent le blâme sur les autres personnes dans l’organisation, détaille Cynthia Mathieu. Ces personnes sont absorbées par des fantaisies de succès illimité, éprouvent un besoin excessif d’être admirées, sont arrogantes dans leurs interventions avec les gens autour d’eux et pensent que tout leur est dû. »
En ce qui les concerne, les personnalités machiavéliques sont excessivement manipulatrices, mais n’ont pas le côté impulsif des narcissiques et des psychopathes. Cynthia Mathieu les décrit comme des personnes froides, manipulatrices, non sincères, démontrant peu d’émotions dans leurs relations interpersonnelles et ayant un sens de la moralité douteux, tout en étant motivées par des objectifs égoïstes comme le sexe, l’argent, le pouvoir, la compétition et le statut social.
Puis, il y a les psychopathes corporatifs, ceux que Cynthia Mathieu étudie le plus. « Ce sont des menteurs pathologiques. C’est la personnalité la plus dangereuse dans un milieu de travail. Pour eux, la vérité et le mensonge ne sont pas différents. Ce sont des manipulateurs, des charmeurs qui ont un sens grandiose de leur propre importance et qui utilisent les autres sans aucun remords pour arriver à leurs fins. Même les conséquences négatives ne les affectent pas. Ils sont bien dans le chaos d’organisation, car ils restent calmes et en contrôle. Quand il n’y a pas de chaos, il le créent. Ils sont capables de garder un masque, mais ils ne sont pas capables d’être contredits ou que l’on requestionne leurs décisions », explique-t-elle.
Des biais positifs
Comment ces personnes arrivent-elles à entrer dans les organisations? Ça part notamment de notre description collective du succès.
« Le succès est beaucoup défini par l’argent, les avoirs, le poste occupé, la popularité et le pouvoir. Les processus de sélection de nouveaux employés ou pour des promotions misent sur le candidat qui aura le plus de succès dans votre organisation. Le problème, c’est qu’on peut se laisser avoir par certains biais positifs: la personne est bien habillée, elle a du charisme, elle fait des promesses grandioses pour faire évoluer notre organisation. On a tendance à les voir comme des gens qui auront du succès et ces biais se retrouvent partout dans notre société », fait remarquer la psychologue industrielle-organisationnelle et professeure à l’école de gestion de l’UQTR.
« Le monde des affaires attire les gens avec ce type de personnalité sombre. Ça ne veut pas dire qu’ils réussissent en affaires parce qu’ils ont l’impression que c’est de l’argent facile et que le pouvoir suivra. Ils passent leurs journées à bien paraître et accèdent généralement à des promotions facilement. Ce sont les Darth Vader du milieu de travail, image-t-elle. (…) Les recherches disent que les hommes ont un score plus élevé que les femmes sur les quatre personnalités sombres. On a aussi une vision du leadership associé à un biais où il est encore tabou d’avoir une personne qui montre plus ses émotions. Tu peux avoir un bon leader humain et axé sur les résultats. »
Elle mentionne que certains traits psychopathiques peuvent également être confondus pour des compétences en leadership. Par exemple, les idées et objectifs grandioses peuvent être associés à une vision, la manipulation à une bonne capacité d’influence et de persuasion, le sens grandiose de sa propre personne à de la confiance en soi, ou encore le manque de culpabilité et de remords à la capacité de prendre des décisions difficiles.
Mais une fois au sein d’une organisation, les personnalités sombres sont à la source du harcèlement en milieu de travail, d’incivilité, de leadership abusif, de comportement non éthique et de fraude, précise Mme Mathieu. Elle note également que lorsque ces personnes sont en position de leadership, les employés risquent de vivre de la détresse psychologique, être en conflit travail-famille, ce qui peut mener des employés talentueux à quitter l’organisation ou à avoir moins de motivation au travail.
Des signes avant-coureurs
Pour éviter d’embaucher ou de promouvoir des personnalités sombres dans son organisation, Mme Mathieu recommande d’abord de bien structurer une entrevue d’embauche et de prendre le temps de vérifier les références inscrites au curriculum vitae tout en s’informant, par exemple, de la qualité des relations interpersonnelles de la personne dans le milieu de travail.
Par ailleurs, il faut savoir que les personnalités sombres auront aussi tendance à complimenter la personne qui les passe en entrevue et mentir sur leur CV. Ces personnes ne montrent également aucun signe d’anxiété ou de nervosité pendant l’entrevue.
« Les tests psychométriques peuvent être des outils intéressants. Quand il s’agit d’une promotion à l’interne et que la personne a une bonne note de son supérieur immédiat, je vous invite à aller voir ce que les employés disent de l’individu. Et quand un individu quitte l’entreprise, c’est important de faire une entrevue de départ et de s’intéresser aux raisons de ce départ », souligne Mme Mathieu.
« Il faut avoir le courage de gérer ce qui est moins bon. Nos structures organisationnelles protègent ces personnalités sombres et les ressources humaines ont parfois les mains liées aussi. Peut-on revoir nos structures organisationnelles pour éviter les milieux de travail toxiques? Pourquoi, en 2024, les employés souffrent plus que jamais alors qu’il n’y a jamais eu autant de moyens de ressources humaines? Il faut changer notre façon de voir et de gérer les gens, mais également se pencher sur le problème », conclut-elle.
Les conseils de Cynthia Mathieu
Vous avez une personnalité sombre au sein de votre organisation? « Écrivez tout pour monter un bon dossier. Gardez vos distances et gardez vos relations professionnelles, car ils n’hésiteront pas à utiliser quoique vous puissiez dire contre vous. Il faut garder un œil ouvert sur les comportements non éthiques, établir les limites et ne jamais gérer ces gens seuls. C’est possible d’aller en externe pour aller chercher un coaching et du soutien. Il est aussi primordial que vous ayez l’appui de votre organisation. »