La famille de Louis-Georges Dupont demande à la Ville de Trois-Rivières de rétablir son honneur et sa dignité

Plus de 54 ans après la mort de Louis-Georges Dupont, retrouvé dans sa voiture de fonction le 10 novembre 1969, sa famille demande à la Ville de réhabiliter la mémoire du policier dans la foulée de nouvelles informations révélées dans un documentaire diffusé à Radio-Canada.

En situant le contexte de la fin des années 60 à Trois-Rivières où régnait la mafia avec la prostitution, le jeu clandestin et la corruption de plusieurs policiers de l’escouade de la moralité, le documentaire rappelle la réputation de droiture et d’honnêteté dont jouissait le policier qu’on disait incorruptible.

« Louis-Georges Dupont était l’homme de confiance, c’était comme notre Eliot Ness, illustre le porte-parole de la famille, Denis Foucault. Est-ce que vous voyez un buste quelque part pour lui? Est-ce qu’il y a une rue Louis-Georges-Dupont? Est ce qu’il y a quelque chose dans l’histoire de notre ville qui parle de ce qui a été fait par lui? Absolument pas. Peu importe la raison qui peut être invoquée pour sa mort, ce qui est demandé par la famille c’est de mentionner qu’il est mort en devoir, au service de la communauté de la Ville de Trois-Rivières. » 

La famille Dupont ne demande pas de rouvrir l’enquête sur les circonstances entourant le décès du policier.

« Ce n’est pas de traduire des gens devant les tribunaux. Ça prend un dénouement, ça prend une responsabilité qui soit assumée. La famille demande une rencontre avec la Ville de Trois-Rivières pour la suite des choses, de réhabiliter la mémoire et la dignité de Louis-Georges Dupont et d’être reconnaissant pour ce qu’il a fait. Il y a une question de respect pour la famille qui mérite beaucoup plus de considération. On doit corriger l’histoire et souligner l’apport de Louis-Georges Dupont. » 

Le combat d’une famille

De nouveaux éléments ont été dévoilés avec la présentation de « L’affaire Dupont: le combat d’une famille » de l’ancien policier français maintenant documentariste, Stéphane Berthomet.

On y allègue que Dupont aurait été emmené dans un chalet à Champlain où il aurait été séquestré et battu avant d’être assassiné. Lors d’une vérification en 2011, la Sûreté du Québec a affirmé que le chalet n’existait plus en 1969, ce que plusieurs témoins contredisent. 

Un ancien tenancier de bar, Jean-Pierre Corbin, aurait reçu des confidences de l’ancien policier Lawrence Buckley au début des années 90. Ce dernier aurait vu le lieutenant Jean-Marie Hubert tirer Dupont dans le dos alors qu’il allait monter dans la voiture d’Hubert.

« Plus j’avance dans ce dossier, plus ce qui me frappe c’est comment on a balayé tout un tas d’éléments, s’étonne M. Berthomet: le témoignage de Jeanne-d’Arc Dupont, celui de Johanne, le témoignage de M. Corbin. La SQ a dit « le chalet il n’était plus là », nous on a quand même trouvé deux, j’oserais même dire trois témoins qui parlent de l’existence du chalet après 1969. »

Robert Dupont rappelle que son père a été retrouvé avec des vêtements « flambants neufs » qui n’étaient pas les siens.

« Mon père était parti travailler avec un complet gris et on l’a retrouvé mort avec des habits noirs beaucoup trop grands pour lui. Il n’y avait pas de sang dans le véhicule, ni de projectile dans la banquette arrière, ni ses lunettes pour conduire et des pages de son calepin de notes avaient été retirées. C’est clair pour moi que mon père a été tué et qu’il n’est pas mort dans son auto. »

Le jour de sa disparition, le 5 novembre 1969, Louis-Georges Dupont vient de revenir au travail après quelques jours de congé. 

« M. Dupont était stressé, c’est indiscutable, raconte M. Berthomet, citant le témoignage de Mme Dupont à la Commission Lacerte-Lamontagne. Il reprend le travail le 3 novembre et quand il rentre à la maison il dit à sa femme: « Je ne peux pas travailler, ils me regardent tous bizarrement, je me fais traiter de stool ». Le 5 novembre il conduit sa fille Johanne à l’école et lui dit de l’attendre pour la sortie de l’école. »

M. Dupont explique à Johanne, qui est à même de le constater, qu’ils sont suivis par d’autres voitures et lui demande de ne pas sortir de l’auto par derrière et de plutôt passer par le côté.

« Comment un père de famille qui va déposer sa fille à l’école et qui lui dit « tu m’attends bien sagement à la sortie » pouvait avoir l’intention ce jour-là de se suicider? Jeanne-d’Arc et Johanne Dupont ont fait des témoignages sous serment à la commission d’enquête publique et ont signé à plusieurs reprises des documents disant que leur père ou mari était menacé. Jean-Pierre Corbin dit que M. Dupont a été séquestré dans un chalet. J’aimerais qu’on dise que tous ces gens-là sont des menteurs, dans ce cas-là. Au fond, ça revient à dire que Jeanne-d’Arc, Johanne, Robert et Jacques prétendent des choses qui sont fausses. Au contraire, ce qui a été démontré c’est qu’il y a une immense majorité des éléments de ce dossier qui penchent en direction du meurtre. »

Par ailleurs, Stéphane Berthomet relève que des raccourcis persistent dans l’imaginaire collectif.

« On dit que la famille Dupont penche pour le meurtre et que les autorités disent que c’est un suicide. Si on regarde bien, il y a le juge Ivan St-Julien (de la Cour supérieure) qui dit en 1995 « hors de tout doute c’est un meurtre, même pas la peine de faire reparaître les experts, considérez que c’est un meurtre et maintenant je demande une enquête ». Ce n’est pas la famille qui invente une thèse de meurtre. D’autre part, le juge Hubert Walters de la Cour civile du Québec dit en 1994 que la Ville de Trois-Rivières a fait de l’obstruction systématique et il pèse ses mots. Aujourd’hui, ce serait considéré comme quelque chose d’incroyablement outrageux de la part de la Ville. Ça aussi ce n’est pas la famille qui invente le fait qu’on refuse de leur remettre des documents dans leur recherche de la vérité. »

Lettre envoyée à la Ville

Le temps passe pour la famille Dupont dont deux des quatre enfants sont décédés cette année, Johanne en janvier et Jacques en juillet. 

Une lettre a été formellement envoyée à la Ville de Trois-Rivières. Elle est adressée au maire, Jean Lamarche, et signée de la main des deux enfants de Louis-Georges Dupont encore en vie, Robert et France.

« Notre père a payé de sa vie pour faire son devoir auprès de votre Ville. Notre soif de justice aura bien une fin un jour, mais il faudra bien qu’elle corresponde avec la vérité et la reconnaissance que mérite notre père. Les Conseils de ville se succèdent, mais personne n’ose prendre position. Nous enjoignons le Conseil municipal actuel à mettre un point final à cette saga qui n’aurait jamais dû connaître une telle ampleur. Il s’agira d’évaluer de quelle manière la Ville de Trois-Rivières entend maintenant corriger les erreurs et ainsi permettre à notre famille et les nôtres qui nous ont quittés de vivre désormais et finalement avec l’âme en paix. »

Robert déposera la requête de sa famille à l’assemblée publique du conseil municipal ce mardi 19 décembre. La famille réclame une reconnaissance de la part de la Ville et non pas de l’argent.

« À la Ville, on demande que notre père soit reconnu mort en devoir, rappelle Robert. Pourquoi ils persistent à dire que c’est un suicide? Ils le doivent à la famille. En plus, toute la peine que ma mère a eue, tout ce qu’ils nous ont fait vivre. L’argent ça ne répare pas tout. Qu’ils commencent par reconnaître ce qu’ils ont fait au niveau de ma famille. S’il y a des réparations, il y en aura, ce n’est pas à moi à décider ça. Ma vie a été malmenée et aujourd’hui je suis encore ici à débattre de tout ça. En dedans de moi, l’injustice, c’est bien plus fort que ça. »

Ultimement, la famille Dupont souhaiterait voir figurer la photo de Louis-Georges au tableau d’honneur des policiers morts en devoir. Une reconnaissance de la Ville pourrait constituer un premier pas vers une telle proclamation.

Stéphane Berthomet a reçu des messages depuis la diffusion du documentaire. Il demeure à l’affût de tout nouveau témoignage.

« Il y a peut-être de nouvelles informations qui pourraient sortir, il y a des gens qui savent des choses qui hésitent à parler encore aujourd’hui. Tout n’a pas été dit sur le dossier. Il n’est pas trop tard pour aider à la recherche de la vérité. Je continuerai à travailler s’il le faut. »