(OPINION) Lettre aux élu.e.s concernant le projet Carrefour 40-55
LETTRE OUVERTE. Le projet de parc industriel Carrefour 40-55 dans sa troisième mouture, a été présenté au conseil municipal de Trois-Rivières le 20 juin 2023. Ce projet suscite de vives inquiétudes de la part de citoyennes et citoyens qui soulèvent un ensemble de questions légitimes qui demeurent, pour l’instant, sans réponses.
Nous les évoquons dans la suite de cette lettre et les considérons sous l’éclairage du Principe de précaution. Ces principes devraient guider les gestes d’institutions démocratiques souhaitant s’inscrire dans une logique de développement durable.
Ainsi, selon les informations disponibles et questionnées par les parties prenantes :
- IDÉ Trois-Rivières fait état des revenus potentiels liés au projet s’élevant à 34,6M$ sur les dix prochaines années. Cela constitue un revenu de 3,46M$ par an en moyenne. Sur un budget de 339,7M$ annuel en 2023, cela correspond à peine à 1% d’augmentation des revenus. Même le scénario optimiste suggère des revenus de 55,4M$ pour 10 ans, ce qui représente une hausse inférieure à 2% des revenus;
- Aucune nouvelle dépense n’a été anticipée pour les services qui seront associés à ce développement industriel, par exemple pour le déneigement, la gestion de l’eau et des déchets, etc. En fait, aucun calcul vérifié de l’impact net de ce projet n’a été rendu public;
- La valeur écologique des services rendus par les milieux humides n’a pas été comptabilisée, alors que la minéralisation de ce secteur entraînerait une perte à ce niveau qui serait quasi irréversible. Ce coût devrait être minimalement considéré dans la prise de décision;
- Aucune étude n’a été réalisée sur la densification des milieux industriels déjà minéralisés. Il s’agit pourtant d’une étape importante avant d’envisager la destruction d’un milieu humide, comme le soulignent les experts du RIVE, spécialistes des milieux humides à l’UQTR;
- Ces experts (RIVE) estiment que cette troisième mouture est partiellement satisfaisante, sinon insatisfaisante, selon les six critères qu’ils ont établis pour guider les décisions de construction en milieu humide. Ils estiment que IDÉ n’a pas fait l’effort de retourner à la table à dessin pour tenir compte de leurs critères;
- IDÉTR n’a fait qu’une modification mineure au projet, s’évitant ainsi de devoir renouveler le certificat d’autorisation émis en 2014, alors que les normes exigées étaient moins contraignantes. Ce faisant, plutôt que de protéger une plus grande partie du territoire, comme le recommandent les experts du RIVE et tel que le suggère le Cadre Mondial pour la Biodiversité négocié à la COP15 de Montréal, ils conservent un zonage industriel sur les zones humides qui pourront être détruites plus tard;
- IDÉTR propose un développement économique selon une perspective locale, ce qui relève de son mandat, mais ce faisant, il le fait sans considérer les options régionales. La considération du projet selon une perspective plus régionale soulève une question plus fondamentale : Pourquoi utiliser un milieu humide à Trois-Rivières pour un secteur industriel alors que d’autres terrains de moins grande valeur écologique pourraient être utilisés dans d’autres villes avoisinantes? La nécessité d’établir un tel parc industriel à Trois-Rivières, plutôt qu’ailleurs dans la région, demeure hautement discutable;
- D’un point de vue strictement économique, le développement proposé repose sur l’idée que les entreprises industrielles manufacturières représentent le principal potentiel de développement d’une ville. Pourtant, d’autres options sont viables et n’impliquent pas une perte de capital naturel au profit du capital économique;
- En situation de plein emploi à Trois-Rivières (taux de chômage avoisinant les 4%), les PME locales peinent à recruter et à conserver leur personnel. L’arrivée massive des grandes entreprises liées à la Vallée de la transition énergétique avec leurs besoins conséquents en main-d’oeuvre représente une inquiétude pour plusieurs PME de la région. L’argument de la nécessité de création d’emplois liés au Carrefour 40-55 est hautement questionnable, voire problématique, alors qu’il s’agira d’abord d’un déplacement de main-d’oeuvre;
- En pleine crise climatique, il devient périlleux de prioriser le développement économique sans tenir compte des conséquences à long terme que font peser des choix quasi irréversibles comme celui-là sur les aspects environnementaux et sociaux. Il est impératif de prendre le temps de soupeser les avantages, mais aussi les inconvénients à long terme de ce choix;
- Les arguments “verts” utilisés lors de la séance d’information du mardi 27 juin comme la mise en place de “milieux écologiques de proximité” et la mention de “boisé d’intérêt social” n’ont pas été suffisamment précisés en termes de surfaces et de localisation pour être considérés comme appuyés par des données probantes;
- Sur le plan de la démocratie municipale, cette troisième mouture arrive au début des vacances citoyennes, laissant de nombreuses questions sans réponse, tout en accélérant le processus de vote sans qu’il n’y ait de débat approfondi, d’études, et d’écoute sérieuse des multiples parties prenantes.
Les multiples questions restées en suspens nous laissent croire qu’il serait sage d’appliquer le Principe de précaution qui devrait guider nos choix en matière environnementale lorsque l’ensemble des informations et des impacts ne sont pas identifiés.
Considérant ces nombreux arguments qui militent en faveur d’une plus grande prudence, nous demandons au maire et aux conseillers municipaux de voter contre le projet tel que présenté et d’écouter les nombreux experts en aménagement territorial, sur les milieux humides, en développement durable et en développement économique qui soulèvent les drapeaux rouges actuellement.
Cécile Fonrouge, membre de l’Institut de recherche sur les PME (UQTR)
François Labelle, membre de l’Institut de recherche sur les PME (UQTR)
Étienne St-Jean, directeur de l’Institut de recherche sur les PME (UQTR)