Les odeurs, sources d’histoires et d’émotions
Léa Hiram est parfumeur-créateur, anthropologue et artiste multidisciplinaire. Ces trois domaines qui ne semblent pas reliés se marient pourtant à merveille dans la riche carrière de la Shawiniganaise d’adoption qui réalise des installations olfactives. Son projet actuel, Territoires olfactifs, présentera deux grands tableaux « à sentir » représentant la Mauricie et la Normandie, afin de faire l’expérience du paysage par le nez dans un monde dominé par l’esthétique visuelle.
L’odorat, généralement absent ou accessoire dans le domaine de l’art, sera au centre de l’installation de Léa Hiram. « J’y raconterai ma relation à deux lieux importants de ma vie, dont je composerai le souvenir en odeur », explique-t-elle. Ce projet sera présenté à la Galerie d’art du Parc de Trois-Rivières, dès février 2024.
Son objectif est d’amener le visiteur dans un ressenti et de lui raconter sa relation à des lieux importants de sa vie, soit la Mauricie et la Normandie. « On raconte souvent un paysage par ses images, par ses couleurs, mais il y a aussi toute une dimension olfactive qu’on sous-estime beaucoup et qui fait partie du lieu. L’odeur des forêts de la Mauricie n’est pas la même que celle de la forêt en Estrie, par exemple, parce que la végétation est différente », explique-t-elle.
« La Mauricie m’inspire par son côté résineux, forestier, et par sa présence d’eau avec les rivières et les lacs. La Normandie est aussi très verte, mais plus vive! Elle est composée de champs, d’herbes vertes et grasses ainsi que d’air salin », illustre Mme Hiram.
L’artiste et anthropologue a reçu une subvention de 20 000$ du Conseil des arts et des lettres du Québec, dans le cadre du Programme de partenariat territorial de la Mauricie, pour la réalisation de ce projet qui se fera en collaboration le studio multimédia Bain de minuit. « Le studio m’accompagnera dans l’utilisation de l’intelligence artificielle et agira comme soutien technique dans l’utilisation d’outils numériques spécialisés. On va réfléchir ensemble à la dimension olfactive et à quelle forme donner aux odeurs via notre intelligence artificielle. On ne sait pas encore ce que ça va donner, mais on a déjà un petit aperçu de comment l’intelligence artificielle peut traduire l’idée d’une odeur », explique Mme Hiram.
En parallèle, la Shawiniganaise a fondé, il y a deux ans, son entreprise TheOdore, design olfactif, qui crée des expériences olfactives pour le milieu culturel, muséal et événementiel. Elle et son équipe ont conçu des dispositifs de diffusion d’odeur qui pourront être intégrés à ses tableaux.
(Photo courtoisie)
Retranscrire l’invisible
Léa Hiram réalise des œuvres olfactives depuis 2001, mais sa relation avec les parfums et les odeurs remonte à son enfance, dans le Bocage normand. « Toute petite, je sentais sans cesse; je frottais les feuilles des arbres, les herbes, et j’aimais sentir leur différence. Je ne comprenais pas pourquoi tel arbre n’avait pas le même vert qu’un autre arbre et j’observais les nuances des feuilles, des fleurs. C’était pour moi un grand mystère », révèle celle qui est dotée d’une curiosité sans limites.
C’est finalement en anthropologie qu’elle a orienté ses études afin de répondre à son grand questionnement : « Comment sent-on ailleurs, hors de l’occident? »
« Lors de mes études en anthropologie à Toulouse, j’ai rencontré un anthropologue qui a vécu longtemps avec les Inuits. Quand je lui ai demandé ce que ça sent chez les Inuits, ses yeux se sont écarquillés et il s’est exclamé que c’était un sujet extraordinaire et qu’il voulait être un directeur de thèse! », raconte Mme Hiram.
Le tout s’est ensuite rapidement enchainé : elle a appris l’inuktitut à Paris avant d’aller réaliser son mémoire de maitrise sur l’univers olfactif des Inuits de l’Arctique canadien, dans la baie d’Hudson. « En occident, on considère posséder cinq sens, mais ce n’est pas partout pareil. Chez les Inuits, le goût et l’odorat sont un seul et même sens », souligne-t-elle.
Après avoir travaillé à Montréal comme anthropologue dans un institut culturel inuit et donné des cours dans une école de parfumerie, c’est son désir d’enrichir davantage ses connaissances sur les odeurs et de créer elle-même ses formules plutôt que de travailler avec des huiles essentielles, plus limitatives, qui l’a poussée à s’inscrire dans une école internationale de parfumerie, à Grasse, la capitale mondiale du parfum. « J’ai été acceptée et je suis allée vivre une année de rêve! », assure-t-elle.
Elle a ainsi eu accès à l’univers très fermé des parfumeries et a eu l’opportunité d’être formée en travaillant aux côtés de parfumeurs dans les luxueuses maisons Hermès et Dior.
« Créer une odeur est plutôt une expérience ludique, tandis que créer un parfum, est un acte de création esthétique. C’est deux pôles très différents, et les deux me plaisent. L’univers du musée et de l’art est pour moi un univers de liberté et de terrain de jeu que je trouve assez fascinant! », conclut-elle