(OPINION) Regard économique sur le projet de parc industriel 40-55
LETTRE OUVERTE. L’auteur de cette lettre, Marc-Antoine Berthiaume, a été candidat aux élections municipales de 2021 dans le district de Richelieu à Trois-Rivières.
Comme plusieurs d’entre vous, j’ai suivi la saga du projet de parc industriel 40-55 dans les médias au cours des derniers mois. Véritable téléroman, les rebondissements ont été plus que nombreux dans ce dossier.
Le projet de parc industriel 40-55 nous force à avoir une réflexion sérieuse quant à la vision économique et de la protection des milieux humides pour les prochaines décennies à Trois-Rivières. Malheureusement, les jeux de coulisses, dignes de la petite politique datant du siècle passé, et l’absence de décision basée sur des faits économiques et scientifiques au détriment de décisions politiques ne font que nuire à l’image de Trois-Rivières. Les citoyens se retrouvent coincés avec certains conseillers et conseillères qui semblent prendre des décisions sur la base de relation entre collègues, plutôt que de prendre des décisions qui s’appuient sur des faits.
Je profite aujourd’hui de la tribune qui m’est offerte pour vous exposer quelques faits et pistes de réflexion que vous pourrez partager à votre conseiller(ère) municipal(e) dans la prochaine semaine pour l’inviter à avoir une véritable réflexion sur le projet de parc industriel 40-55.
Revenus
Lors de différentes entrevues dans les médias, j’ai entendu les responsables de ce dossier nous vanter les revenus potentiels face à l’exploitation du parc industriel 40-55 qui pourrait faire baisser le fardeau fiscal des Trifluviens et Trifluviennes. J’ai donc effectué quelques recherches pour me faire une tête sur cet aspect fort important dans l’argumentaire des promoteurs de ce projet. Le 17 février dernier, IDETR publiait sur son site internet le document de travail sur le Parc technologique 40-55, c’est à partir de ce document que je vais partager certains faits économiques de ce projet.
Dans ce document, nous pouvons trouver à la page 29 un tableau indiquant, selon le promoteur, les revenus supplémentaires « significatifs » que ce projet pourrait apporter. Afin de faciliter l’analyse de ce tableau et votre compréhension, je vais prendre les revenus potentiels pour l’an 10 de ce projet (soit 2033). À l’an 10, nous pouvons y lire que la ville toucherait 6,1 M$ en revenus de taxation annuels, 2,4 M$ en revenus de vente de terrains ainsi que 260 223 $ en revenus de compensation au Fonds Éclore. Pour le bien de l’exercice, rassemblons tous ces montants en un seul et unique montant que l’on nommera » revenus potentiels » dans le reste de cette lettre, soit un total de 8,76 M$.
Parallèlement aux revenus potentiels, regardons le budget de dépenses opérationnelles de la Ville de Trois-Rivières pour 2033. Bien sûr, je n’ai aucune boule de cristal pour prédire le budget annuel exact pour dans 10 ans, je vais donc procéder à une extrapolation des données des dernières années. Pour ce faire, je vais prendre des données disponibles sur le site internet de la Ville de Trois-Rivières. Dans ces documents, nous pouvons voir qu’en 2013, la Ville de Trois-Rivières avait un budget de dépenses annuelles de 236,5 M$ et que pour l’année 2023, soit 10 ans plus tard, la ville avait un budget de dépenses annuelles de 339,7 M$. Nous pouvons donc affirmer que lors des 10 dernières années, la Ville de Trois-Rivières a eu une augmentation de 43,6% de son budget de dépenses. En extrapolant que la ville pourrait avoir une augmentation similaire, pour les 10 prochaines années, nous arrivons avec un budget d’exploitation extrapolé de 487,93 M$ pour l’année 2033.
Nous avons donc deux chiffres importants, pour l’année 2033 : 8,76 M$ de revenus potentiels du projet de parc industriel 40-55 (qui inclut autant les revenus de taxation annuels, les revenus de vente de terrains ainsi que les revenus de compensation au Fonds Éclore) ainsi que le montant de 487,93 M$ pour le budget d’exploitation 2033 de la Ville de Trois-Rivières.
Le premier élément qui ressort est le faible pourcentage de revenus que le projet de parc industriel 40-55 pourrait apporter au budget annuel de la ville, soit un maigre 1,8%. Si nous comparons au dernier taux d’inflation annoncé, soit 4,4% en date du mois d’avril 2023, le 1,8% de revenus additionnels, dans 10 ans, sur le budget annuel de la ville fait pâle figure.
Prenons un exemple plus concret face au budget de la ville : les dépenses pour le service du déneigement. En 2023, le budget annuel pour le déneigement est de 18,09 M$, si nous extrapolons la hausse de 43,6% en 10 ans, nous nous retrouvons avec un budget annuel de 25,98 M$ pour le déneigement en 2033. Il faudrait donc les revenus d’environ 3 parcs industriels 40-55 pour simplement payer ce seul et unique poste budgétaire à la ville en 2033.
Allons-y d’un autre exemple, prenons le projet de réaménagement du poste de police, incluant la cour municipale, qui se retrouve au PTI annoncé il y a quelques jours. Ce projet coûtera au total 55 M$ à la Ville de Trois-Rivières. Il faudrait donc minimum 6,28 parcs industriels 40-55, avec le revenu de 2033, pour payer ce projet.
Bien sûr, vous arrivez peut-être à la même conclusion que moi, les revenus estimés de projet de parc industriel 40-55 sont très minces face aux dépenses d’exploitation de la ville et ces projets des prochaines années. Le fardeau fiscal des Trifluviens et Trifluviennes ne se verra pas vraiment réduit.
Cependant, il y a aussi une information cruciale à prendre en compte, je n’ai mentionné que les revenus qu’apporte le parc industriel 40-55, aucunement les dépenses. Car oui, il y a aura bel et bien des dépenses qui seront affectées pour réaliser ce parc industriel.
Je ne peux affirmer de chiffres vérifiés et basés sur des documents officiels, la seule information disponible publiquement est le montant lancé par le conseiller municipal Luc Tremblay, lors du dernier conseil municipal, soit environ 8 M$ de dépenses minimums.
Certains promoteurs de ce projet répondront que ces montants seront ramenés dans les coffres de la ville par le biais des revenus de la vente des terrains. Cependant attention, rappelez-vous que dans mes calculs, j’ai inclus les revenus de la vente de terrains dans l’ensemble des revenus potentiels, vous pouvez sans problème déplacer les dépenses et les revenus de vente de terrains de colonne dans votre analyse du projet, mais le taux de revenus global pour la ville sera grandement diminué vis-à-vis le 1,8% mentionné dans cette lettre.
Développement régional
Je suis totalement d’accord qu’il faut faire du développement économique dans la région, nous avons tout le potentiel pour devenir la plus grande région économique au Québec.
Le débat entourant la création du parc industriel 40-55 et l’arrivée de la Vallée de la transition énergétique dans la région est le moment idéal pour faire une vaste consultation paramunicipale et avoir une vision globale du développement économique et des parcs industriels en Mauricie et au Centre-du-Québec.
Il est temps d’asseoir autour d’une même table les représentants des organismes de développement économique de la région, les élus des différentes villes (maires et membres des conseils municipaux) ainsi que nos représentants au niveau des gouvernements provincial et fédéral. Le développement de nouveaux parcs industriels devrait-être analysé sur l’ensemble du territoire et non par chaque ville individuellement. Il est primordial d’allier développement économique et protection des territoires à haute valeur écologique, aujourd’hui. Nous nous devons de penser aux futures générations.
Arrêtons de penser le développement économique en microsilo avec l’optique de revenus potentiels pour notre ville seulement. Les différentes villes de la région ne sont pas en compétition, nous nous devons de nous rassembler. Une économie forte dans une ville avoisinante apportera autant à cette ville qu’à la nôtre. Grâce à notre positionnement comme pôle régional, Trois-Rivières est bien situé pour briller économiquement durant les prochaines décennies.
Consultation du milieu
Je dois vous l’avouer, je fondais un grand espoir à la troisième mouture du projet de parc industriel 40-55. Après l’annonce de la deuxième version du projet, les chercheurs du groupe RIVE de l’UQTR (des spécialistes en écologie, biologie, géographie physique et en aménagement du territoire) avaient fait des propositions au promoteur du projet de parc industriel 40-55 et une grille d’analyse du projet en 6 critères pour la protection des milieux à haute valeur écologique a été partagée avec eux.
Quelle ne fut pas ma déception d’apprendre qu’une seule rencontre entre les spécialistes de RIVE et d’IDETR a eu lieu au mois de mars et qu’en plus, aucun des 6 critères n’est respecté de manière satisfaisante de la part des promoteurs du parc industriel dans la troisième mouture du projet.
À la place de protéger un plus grand territoire à grande valeur écologique et devoir passer par une nouvelle demande de certificat pour respecter les normes environnementales d’aujourd’hui comme le proposait RIVE, la ville et IDETR n’ont fait qu’une modification mineure à leur projet pour ne pas avoir l’obligation de passer par des normes plus strictes et faire le minimum d’effort pour modifier leur projet. L’acceptabilité sociale est en jeu sur cette dernière mouture, cette version est loin de faire l’unanimité au sein de la population trifluvienne et des spécialistes.
Leadership
Il est temps pour l’administration Lamarche de prendre un leadership inclusif dans ce dossier.
Laisser le temps au conseil municipal et aux spécialistes d’analyser la dernière mouture de manière exhaustive. Laisser aussi plus de temps aux Trifluviens et Trifluviennes pour prendre connaissance de la dernière mouture et donner des commentaires constructifs pour améliorer le projet.
Il est l’heure d’être inclusif et rassembleur, autorisé une étude exhaustive sur la possibilité de densifier nos parcs industriels existants, comme demandé par Dany Carpentier, pour que la population soit informée de manière transparente et non partisane.
Prenez un leadership positif et axé vers l’avenir en faisant des représentations auprès du Gouvernement du Québec pour diversifier les revenus des villes dans le but d’alléger le fardeau fiscal des Trifluviens et Trifluviennes par le biais d’un transfert d’un point de la TVQ vers les villes tel que demande l’UMQ.
J’invite donc le conseil municipal à reporter la décision sur le projet de parc industriel 40-55 à l’automne, dans le but de parvenir à une solution qui saurait satisfaire un plus grand nombre de personnes.
Marc-Antoine Berthiaume
Trois-Rivières